Régine DETAMBEL

Le syndrome de Diogène
Éloge des vieillesses



Ecrire sur la vieillesse, il faut oser. Après Simone de Beauvoir, dont on fête le centenaire de la naissance, qui a publié un essai sur la vieillesse en 1970, Régine Detambel ose et réussit avec brio son Eloge des vieillesses. Elle réalise une analyse littéraire avec une multitude de références culturelles, d’exemples, de réflexions philosophiques : « La vieillesse est une douloureuse théorie de la relativité : on est vieux par quelqu’un, on est vieux pour quelqu’un. La vieillesse, tout comme l’amour ou la confiance, dépend de l’autre. »
« On l’a dit, la vieillesse est en somme une anomalie normale […] Paul Claudel dit spontanément : « Quatre-vingts ans ! Plus d’yeux, plus d’oreilles, plus de dents, plus de jambes, plus de souffle ! Et c’est étonnant somme toute, comme on arrive à s’en passer ! » Une anomalie supportable. »

Avec Montaigne, Mme de Sévigné, Kawabata, Jean-Paul Sartre, Erasme, Sénèque, Jean Giono, Hélène Cixous, Colette, Marcel Jouhandeau, Michel Leiris, Françoise Dolto, Marcel Proust, Pascal Quignard… nous découvrons ce que ressentent les créateurs sur la vieillesse des autres ou sur la leur, nous nous enrichissons, nous voyageons dans le temps et dans l’espace pour redécouvrir les multiples perceptions possibles et les évolutions dans l’appréhension de nos vieux et de la vieillesse. Nous vivons dans le corps des vieux, Régine Detambel évoque l’arrivée dans la maison de retraite, la sexualité, la maladie. Nous retrouvons l’émotion de la relation avec une grand-mère :
« J'approche encore mon visage de celui de ma grand-mère. Alors elle se remet à parler. Je m'éloigne, détourne les yeux. Et ma grand-mère se tait. Je refais l'expérience. Dès que je rapproche mon visage, je la relance, dirait-on, la vieille femme alors parle, parle, ne peut plus s'empêcher de dévider son écheveau. Elle semble me prendre, face à elle, pour une étrange source d'enthousiasme. En ouvrant la bouche, elle ne sait probablement pas encore ce qu'elle va dire, mais les yeux attentifs que je porte sur elle, mon menton, mes pommettes, tout ce que lui rappellent ce regard et le grain de ma peau lui apportent une abondance d'idées et la hardiesse de parler.
Ma grand-mère rêvait d'être toute légère quand elle était jeune, ballerine, d'une douceur céleste. Mais la vie, tout au contraire, l'alourdit de trois enfants. En ce temps-là, on s'immolait à sa descendance. Dans son bavardage incessant, la vieille femme révèle par dizaines d'épisodes différents ce qu'elle fit de son élan, de sa jeunesse, de son besoin d'adoration. Elle les convertit en attentes, en couture, en savon fabriqué avec du suif, en manteaux coupés dans des couvertures, en eau qui bout, en économies de charbon. Et la guerre et l'exode. Et d'autres histoires dans des histoires. Et des fils qui rejoignent d'autres fils. Comme une Schéhérazade de cent ans, qui n'en aurait jamais fini. 
»
La vieillesse rejoint le début de la vie dans la dépendance avec ses plaisirs et ses inconvénients.

Cet essai se lit aussi bien qu’un roman et de plus l’on peut y piocher une mine de réflexions et d’analyses comme dans un coffre empli de joyaux. La dernière partie s’intitule Styles tardifs – Vieillir en création.
« A tout âge, créer, c’est libérer des possibilités de vie susceptibles d’accroître à la fois la puissance de la sensibilité et la jouissance du fait de vivre. »
Beaucoup d’écrivains, de peintres, d’êtres se révèlent dans leur vieillesse.
Vieillir peut être aussi une naissance.
Un texte très érudit, très vivant, très jeune qui ne désespère pas la vieillesse.

Brigitte Aubonnet 
(10/02/08)   



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Editions Actes Sud

328 pages - 23 €

Photo©J.-C. Martinez

Pour visiter le site de Régine Detambel :
www.detambel.com



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