Photo © Brigitte Enguérand


Le Pulle

Opérette amorale



d'Emma Dante



Excellente nouvelle pour le théâtre contemporain : EMMA DANTE est de retour en France avec sa troupe pour une tournée qui débute par le ROND-POINT de Jean-Michel RIBES. Cœurs simplets et pudibonds de sacristie, ne vous abstenez surtout pas : si Le PULLE – traduire : LES PUTAINS – qu’elle a écrit et mis en scène repousse une fois de plus les frontières du scénique de la tradition classique, ces limites sont bousculées avec brio et l’audace de la créatrice est parfaitement maîtrisée. Pour mieux démontrer.

Sous forme d’oxymoron, elle a défini ce nouveau spectacle comme une opérette amorale. Or ce type de comédie musicale, complaisant avec son happy end sirupeux, implique que le roi épouse la bergère et qu’ils vivent heureux avec beaucoup d’enfants. Ici on assiste plutôt ici à une fable aussi ambiguë que cruelle, bien éloignée d’un environnement à la grenadine. Au contraire des précédents, le monde des prostitués travestis, alternant l’appât du gain facile avec le plaisir fugitif, vit quelques fulgurances éphémères dans un monde de brutes et termine généralement fort mal son chaotique parcours.

Sur ce fond de désespérances dorées qui ne vous lâchera plus, huit merveilleux comédiens vont vous délivrer le message d’EMMA. A sa manière "jusqu’auboutiste". Sauf à enlever l’ultime petite soierie de la raie culière quand, jambes écartées, l’entrecuisse s’agite frénétiquement, les corps n’y ont effectivement pas grand-chose à cacher. Mais surtout les dialogues sont révélateurs de leurs détresses. Ils disent ainsi certains problèmes de société escamotés par l’époque car ils sont, eux aussi, le fait de minorités sans pouvoir auxquelles il ne reste que l’humour. Sur la scène, cinq de ces transsexuels tentent d’échapper à leur destin de paumés par leur imaginaire délirant, baume nécessaire à une très profonde cicatrice.

Générée par un SUD rétrograde et l’oppression de certaines familles sans ressources, cette malédiction pour certains enfants n’est que perspective de prostitution, répugnant gagne-pain des paumés, sur lequel des religions au message dit charitable ferment trop souvent les yeux. EMMA s’insurge et nous mobilise. Femme de conviction et de communication, diablement efficace, elle n’écrit pas avec une plume d’oie mais avec un scalpel. C’est ainsi qu’elle va chercher les motivations secrètes au fond des âmes et dans les abysses des corps. Et ça n’est pas figure de style !

Reste que son insistante obsession s’exprime aussi dans la sobriété des échanges, l’élégance de la gestuelle et la poudre des maquillages. Comme au théâtre !!! Les spectateurs, initiés de sa recherche, sont impliqués dans un choc émotionnel qui précède l’adhésion. Et cette dernière arrive dans l’univers volontairement provocateur des corps qui s’exhibent.

La fantastique fête nuptiale, aussi onirique qu’apothéose, vous le rappellera avant la chute du rideau. Et les poupées gonflables ramassées par une des fées d’obédience shakespearienne (chargées de protéger les travestis prostitués) seront déposées sur l’autel des hiérarchies ensoutanées encore à la mode. Ad gloriam majorem dei.

Claude Chanaud 
(22/03/09)    



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Montreurs d'ours













Théâtre
du Rond-Point


2 bis, avenue
Franklin D. Roosevelt
75008 Paris

Location :
01 44 95 98 21



Texte et
mise en scène :
Photo © Carmine Maringola
Emma Dante

Sur une musique
originale de
Gianluca Porcu

Avec :
Elena Borgogni
Sandro Maria Campagna
Sabino Civilleri
Emma Dante
Clio Gaudenzi
Ersilia Lombardo
Manuela Lo Sicco
CarmineMaringola
Antonio Puccia