Barricade

par la Compagnie Jolie Môme




Au Théâtre de la Belle Etoile à La Plaine-Saint-Denis la Compagnie Jolie Môme joue Barricade. C'est un spectacle "pas comme les autres" en ce sens qu'il se veut d'abord l'évocation vibrante d'une réaction populaire porteuse de progrès. Mais c'est aussi une pièce de théâtre réussie. Voilà deux raisons pour aller vibrer avec ses auteurs dans un rare climat de fraternité.

Nous sommes en 1871. A la suite d'un de ces nombreux conflits imbéciles qui ont ensanglanté l'histoire des nations, Paris est assiégé par l'armée prussienne. Tandis que les habitants les plus riches ont fui la capitale, les privations commencent. Et la misère au cul verdâtre va frapper la population restée sur place : c'est celle des ouvriers et des artisans dont les idéologues bourgeois disaient avec H.A. Frégier* "classe laborieuse… classe dangereuse".

Barricade nous rappelle ces faits mal connus, l'organisation de la résistance et sa fin tragique. En effet, de cette période, mêlant l'irritation des assièges à un désir récurrent de justice sociale, est née une révolution "pas comme les autres" car non seulement le peuple de Paris veut résister à l'envahisseur mais – en même temps – il s'oppose à un pouvoir totalement coupé des citoyens d'en bas. Pendant ce temps, peureusement réfugié à Versailles, Adolphe Thiers poursuit sans pudeur un processus de collaboration avec les Prussiens.

Le premier mérite de la compagnie Jolie Môme est d'avoir monté ce spectacle en respectant l'histoire telle que l'on ose enfin en parler dans nos années 2000, c'est-à-dire sans exhibitionnisme suspect mais aussi très loin de l'ostracisme du siècle passé. En effet sur l'action de la Commune de Paris et la riposte sanglante du gouvernement, il faudra bien qu'un jour nos professeurs et nos manuels scolaires nous disent pourquoi ils nous ont si longtemps nimbé ou simplement caché la vérité. Question ouverte à l'Education Nationale et aux historiens : La vengeance impitoyable que l'armée française exerça sur la population parisienne serait-elle la mauvaise conscience de la République ?

Les autres mérites de la Compagnie Jolie Môme qui chante, danse et lie un irrespect poétique à un décapage nécessaire relèvent évidemment du théâtre lui-même. L'équipe pratique le pluridisciplinaire comme qui rigole puisque, inspirée par Louise Michel, Raoul Dubois, Vallès, Brecht, Vautrin, Chabrol et Adamov, elle revendique les textes et les dialogues, elle assume mise en scène, éclairage et décor et elle interprète également la pièce. Avec brio.

Ainsi, les douze sur scène jouent vingt-quatre personnages qui nous font passer progressivement de la trahison des élites et de la prise de conscience populaire au soulèvement. Ensuite, à la proposition de valeurs qui sont encore de nos jours des buts à atteindre : l'égalité des femmes et des hommes, la formation permanente, la vigilance vis-à-vis des dogmatiques de tous poils et la possibilité de s'épanouir dans une activité utile. Vous le savez, la Commune de Paris va se terminer dans un horrible carnage où des dizaines de milliers de parisiens vont périr et où d'autres, presque aussi nombreux, vont être déportés.

En commandant ces représailles sanglantes le gouvernement rassure ainsi la bourgeoisie et l'église mais il se couvre pour longtemps d'une honte qui dépasse le cadre des responsables politiques puisque l'armée française s'est glissée sur ordre peut-être – mais sans état d'âme – dans sa mission d'extermination systématique. Et à côté de ces assassins en uniforme, plusieurs plumitifs à la mode ont accompagné ce bain de sang de leur indifférence nombrilique ou de leurs jugements de caste. Jolie Môme a relevé leurs ignobles déclarations. C'est un bonheur de les entendre rythmer la progression du spectacle. Avec, pour couronner ce bêtisier d'auteurs, la médaille destinée au restaurateur "Chez Brébant" pour le remercier de s'être empiffrés chez lui pendant que le petit peuple mangeait les chats et les rats. Ils s'appelaient Edmond de Goncourt, Flaubert, Ernest Renan et Théophile Gautier.

Heureusement, d'autres talentueux ont soutenu la Commune car ils avaient identifié dans ce printemps insurrectionnel ces idées généreuses reconnues aujourd'hui comme nécessaires. C'étaient Victor Hugo, Verlaine, Rimbaud. Et durant ce mois de novembre où la Compagnie Jolie Môme vous mettra l'émotion au cœur et le picotement à l'œil, vous sentirez qu'ils ne sont pas loin.

Claude Chanaud 

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* Honoré Antoine Frégier a publié, chez J.B. Baillière en 1840, Des classes dangereuses de la population dans les grandes villes et des moyens de les rendre meilleures.



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Montreurs d'ours






Barricade


Théâtre
de la Belle Etoile


14, Allée Saint-Just
93210 La Plaine-St-Denis

Location :
01 49 98 39 20












Vius pouvez aussi visiter
le site de
la Compagnie Jolie Môme :

www.cie-joliemome.org