Sur un air
de tango


d'Isabelle de Toledo

Quand les Bierry persistent et signent...


Le critique de théâtre est généralement un connaisseur pointu de l'expression scénique qui va des vieux grecs jusqu'aux innovations contemporaines et il accompagne quelquefois ses chroniques d'une érudition un peu précieuse. Les Montreurs d'ours diffèrent en cela qu'ils tentent simplement, hors des évocations louangeuses ou des approches sophistiquées, de faire partager le plaisir d'une soirée. C'est simplement la rubrique des "coups de cœur" pour un spectateur du XXIe siècle avide de cette nécessaire glace sans tain qu'est la dramaturgie.

En fait, je brode sur les pièces qui m'ont touché et je parle très peu de celles qui m'ont laissé indifférent. C'est ainsi que j'ai vécu avec bonheur ma dernière soirée au théâtre de Poche-Montparnasse où la tribu Bierry qui fait mouche depuis des années, persiste avec efficacité et signe.

Dans la pièce Sur un air de tango mise en scène par Annick Blancheteau et Jean Mourière, c'est Etienne Bierry qui mène la danse avec l'art de ne pas être grand-père et la malice des dialogues d'Isabelle de Toledo. Son fils de scène – Olivier Marchal – lui répond, aussi efficace et aussi émouvant que le papa, dans le rôle d'un grand sensible faisant semblant d'être un homme endurci.

Ce père, amateur de tango et de claquettes, vit son troisième âge (presque le quatrième) dans la crainte de la maison de retraite mais avec un besoin de fantaisie adolescent. En revanche, le fils, patron de bistrot sérieux, se consacre uniquement au travail car dit-il « il lui permet de faire le confort de son couple et de ses enfants ».

Dans les échanges entre les deux, mi taquins, mi complices, on va passer progressivement de la futilité des propos à l'affectif sous-jacent – comment l'avez vous deviné ? – puis au drame domestique qui va les choquer avant de les mobiliser tous les deux, chacun à sa manière : Alice la femme du bistrotier, jouée par Lisa Schuster, vient de quitter le domicile conjugal.

En effet, elle a rencontré un homme qui ressemble à son beau-père « un pour qui la vie est légère et qui a compris que les femmes aiment danser ». Voilà le point de départ de révélations étonnantes dans une famille où la réserve pudique rejoint la sensibilité et où les cicatrices se portent sans ostentation.

L'expression populaire bien connue "C'est la vie Lili…" trouve là son véritable sens. Et je me garderai bien de vous dévoiler les évènements "clefs" de cette histoire car non seulement vous devez être disponible pour une surprise aussi inattendue qu'attendrissante, mais, de plus, dans cette comédie incontournable, la construction habile d'Isabelle de Toledo va s'accompagner d'un ravissement des dialogues où quelques verdeurs bien venues ponctuent une permanence de cocasserie. Enfin, le lavement des pieds de l'amateur de claquettes est un moment d'anthologie.

Dans cette comédie, un auteur, deux metteurs en scène et trois comédiens nous apportent le bonheur cathartique. Et l'occasion de disserter après le spectacle sur notre destin d'hommes condamnés à mourir, pas sans émotions, pas sans réflexions, pas sans tristesses, pas sans nostalgies, mais surtout… pas sans sourires. C'est la vie.

Claude Chanaud 



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Montreurs d'ours






Sur un air de tango
Théâtre de Poche Montparnasse

75, boulevard du Montparnasse
75006 Paris

Location :
01 45 48 92 97








Le texte est publié
aux éditions
L'avant-scène théâtre

9 €