Doute
de John Patrick Shanley

Mise en scène
Roman Polanski



Le doute nécessaire


Les amateurs de théâtre vont rapidement retourner au théâtre HEBERTOT car, comme la précédente, la pièce qui vient de s'y créer prend le chemin du succès. Quelques intégristes hurleront, peut-être, à une inutile indignation ; quelques moralistes en peau de lapin diront que l'ambiguïté est provocatrice de malaise, mais les humanistes feront la promotion méritée de ce DOUTE de John Patrick SHANLEY que Roman POLANSKI vient de mettre en scène avec une évidente efficacité. Sans aucun doute, si vous m'autorisez cette facilité de style.

Le sujet n'est pas neuf. Dans un univers imprégné de certitudes métaphysiques et de rigidités subséquentes, on s'est donné pour mission de former des enfants. Nous sommes dans un collège catholique où la supérieure maintient le dogme et la hiérarchie à la limite de la caricature. Evidemment, nous pourrions aussi être quelque part au Moyen Orient chez les fous de Dieu, voire dans un collège anglais où la fessée sanctionne le hors-jeu. Châtiment ambigu, n'est-il pas ?

Dans cet établissement bien pensant, on fabrique à la chaîne de ces adolescents inhibés par un redoutable système qui, tel l'armée de la tradition, remet le sort des individus à consensus mou entre les mains du chef immédiat. Corps et âme. J'ai pensé au sergent de mon service militaire qui disait "je ne veux voir qu'une seule tête" sans que sa digestion en fût troublée.

Grain de sable grippant la mécanique de la pensée unique, il y a dans la pièce de SHANLEY un prêtre qui a d'abord un cœur avant d'avoir une croyance. Et ce responsable fait à propos d'une peccadille enfantine une heureuse synthèse : Certains vous diront que la lumière que vous avez dans le cœur est une faiblesse. […] C'est une vieille tactique qu'ont les gens méchants pour tuer la gentillesse au nom de la vertu.

Mais voilà, cette réflexion généreuse intervient après que l'homme en soutane a pardonné le détournement matinal d'un vin de messe par Donald Muller son enfant de chœur.

Or, la rumeur propage que le père Flynn a beaucoup d'affection pour ce garçon, unique petit noir dans cette école peuplée d'occidentaux blancs. Convoquée par la supérieure qui subodore le pire, la maman de Donald ajoute à notre interrogation puisqu'elle reconnaît "que certains garçons veulent qu'on les trouve". "Et mon fils est comme ça" confirme-t-elle à la mère supérieure.

Réponse à l'ambiguïté de la situation, vous allez assister à un duel d'anthologie. D'un côté, l'inflexible Sœur Aloysius qui veut chasser le prêtre au nom du dogme et de la discipline, de l'autre le père Flynn qui argumente sa position au nom de la tolérance et du doute récurrent. Un doute nécessaire aussi puissant et aussi solide que les certitudes de son accusatrice.

Allez applaudir l'équipe qui conduit ce combat : l'implacable supérieure interprétée de manière très crédible par Dominique LABOURIER, l'émouvante sœur James jouée par Noémie DUJARDIN, la maman, lucide et percutante, défendue avec bonheur par Félicité WOUASSI et le talentueux Thierry FRÉMONT, prêtre à la fois suspect et plein de compassion. Mais convaincant. Vous allez vibrer avec eux de ces contradictions auxquelles nos générations n'ont pas échappé, peut-être revenir sur d'anciennes convictions et espérer une conclusion porteuse d'espoirs. Enfin, vous suivrez leurs cheminements qui, au-delà des structures pyramidales de notre temps, ouvrent la voie à des compréhensions plus subtiles.

Vous penserez alors au jugement ironique de LA FONTAINE qui disait d'un homme condamné par la rumeur "sa peccadille fut jugée un cas pendable" et, surtout, à la conclusion inattendue de la supérieure de l'école. Il vous faudra donc attendre la fin de la pièce pour apprécier ce point sur l'i d'une magistrale interrogation. Et sur celui d'une non moins magistrale interprétation.

Claude Chanaud 



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Montreurs d'ours






au Théâtre
Hébertot


78 bis, bd des Batignolles
75017 Paris

Location :
01 43 87 23 23






Mise en scène :



Roman Polanski



avec :

Thierry Frémont
Dominique Labourier
Noémie Dujardin
Félicité Wouassi








Le texte est publié
aux éditions
L'avant-scène théâtre
12 €