Anaïs Nin, née en 1903 à Neuilly et morte en 1977 à Los Angeles, rêve aussi de plusieurs femmes en elle, derrière un rideau : « Derrière, il y a un bruit de ressac. C'est que derrière le rideau, derrière la porte ou derrière le miroir, il y a une maison au bord de la mer. La maison au bord de la mer de mes rêves. Vous me suivez ? Un orage éclate dans mon rêve, pendant mon sommeil. Car je rêve aussi que je dors dans la maison de mes rêves. Que je dors, et que je rêve aussi. »
La frontière est poreuse entre réalité et rêve pour cette femme évanescente et multiple. Parfois, elle se ressent actrice ou personnage de théâtre. Un dialogue s’établit entre elle et une "Voix Journal" qui la renvoie à ses propres interrogations : « Et aujourd'hui encore, chaque fois que vous vous sentez délaissée, ce n'est pas vous mais cette enfant qui se considère comme oubliée, n'est-ce pas ? »
Elle écrit des poèmes, elle peint avec des mots de toutes les couleurs, elle va fonder un orphelinat car elle n’aura pas d’enfant à elle puisqu’elle va accoucher d’une petite fille mort-née. La mélancolie l’habite surtout depuis le moment où son père a quitté le domicile conjugal, lorsqu’elle était enfant, pour des raisons sexuelles : « Le désespoir a imprégné toute ma vie, ma vie entière. »
Elle éprouvait une passion pour son père alors qu’il la photographiait souvent. Sa vie durant, elle a eu peur d’aimer de crainte de souffrir : « C'est que j'ai perdu tous ceux à qui je tenais. Toutes les maisons, tous les pays que j'aimais. Il vaut mieux n'aimer personne, parce que lorsque l'on aime, il faut ensuite se séparer et cela fait trop mal. »
Les fenêtres vont jouer un rôle important : « D'ailleurs, la seule chose que je possède est une fenêtre. Et souvent, je me tiens à la fenêtre ouverte de ma chambre et je respire profondément. Ma fenêtre est à la frontière de deux pays, de deux territoires : elle est à la frontière du réalisme et de la poésie. »
Cette pièce est une très belle introspection dans la complexité d’une femme créatrice tourmentée par ses démons liés à l’enfance et par le fait qu’une femme artiste est toujours considérée comme anormale, comme un monstre. L’écriture de Filip Forgeau nous plonge dans les eaux profondes d’Anaïs Nin avec beaucoup de délicatesse pour montrer la force et les failles de cette femme d’exception.
Brigitte Aubonnet
(05/07/21)