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Filip FORGEAU


La chambre de Marie Curie


C’est une pièce extrêmement émouvante sur la perte d’un être cher. En effet, Marie Curie dialogue avec son mari, Pierre Curie, qui vient de mourir, écrasé par un camion un jour de pluie où il a glissé sur le sol mouillé de la rue Dauphine. Tragique mort et surtout prématurée, lui qui avait découvert le radium avec Marie Curie.

Nous découvrons la personnalité de ce chercheur discret mais brillant qui a marqué son temps et se posait de nombreuses questions sur les utilisations possibles de ses découvertes : « Quel futur ? Nous avons longtemps cru que l'alliance des arts et des sciences produirait un monde meilleur, plus juste, convaincus que nous étions que le progrès scientifique enfanterait le progrès social. Mais il fallait concevoir que, dans des mains criminelles, le radium puisse devenir très dangereux, et se demander si l'humanité avait avantage à connaître les secrets de la nature, si elle était mûre pour en profiter ou si cette connaissance ne lui serait pas nuisible. »

Très belle idée de Filip Forgeau de faire revivre ainsi Pierre et Marie Curie et de mettre en mots avec beaucoup de délicatesse les sentiments éprouvés après la disparition d’un être cher : « Fin du rêve. Fin de la vie rêvée. La réalité qui prend le dessus. Mais paradoxalement fin du réel aussi. Le présent. Qui met fin au passé. Qui ampute le futur. La vie réelle, finie. La vie s'évanouit comme un rêve. La mort prend le dessus, cruelle réalité. Est-ce que ça existe, la vie réelle ? Dans quel rêve est-ce qu'on vit ? Dans quel rêve est-ce qu'on meurt ? Tu me manques. J'ai un manque, là, au cœur, comme une crampe à l'aine, une écharde sous la peau, un terrain vague à l'âme. Un manque. De toi, là. Là, là et là, partout. C'est comment la mort ? Est-ce que c'est plus doux qu'en vrai ? Y a-t-il une parenté entre le sommeil et la mort ? Est-ce que tu dors ? Est-ce que je rêve ? Est-ce moi qui rêve ? »

Filip Forgeau a l’art de donner la parole à des femmes comme il a pu le faire pour Milena Jesenskà, Anaïs Nin, Rosa Luxembourg…

Les mises en scène avec l’interprétation émouvante et forte de Soizic Gourvil mettent en valeur ces textes engagés sur le monde. Espérons que nous retrouverons vite le plaisir de retourner dans les théâtres, lieux essentiels où se mêlent littérature, création, engagement et émotions.


La chambre de Milena

Dans la préface de cette pièce, Daniel Mesguich montre bien la démarche de l'auteur : « Filip Forgeau écrit "pour" le théâtre. Entendez, en ce "pour", la destination, bien sûr, mais aussi l'offrande, comme s'il demandait à quelque dieu qu'il nomme théâtre (et qu'il crée d'ailleurs de toutes pièces) de l'aider à faire apparaître des âmes, de l'aider à les donner à voir et à lire. De l'aider à "révéler". A rêver, aussi. Surtout. A rêver qu'elles sont là, présentes, concrètes, visibles, préhensibles. »

C’est un beau portrait de Milena, née à Prague en 1896 et morte en 1944 à Ravensbrück. Il ne faut pas l’oublier, elle qui a eu une relation très proche avec Franz Kafka dont elle a traduit certaines œuvres ainsi que celles d’autres écrivains. Dans la révolte, dans l’indignation, elle n’a pas quitté son pays au moment du nazisme. Rester debout dans le monde malgré les difficultés. Nous revenons aussi dans son passé pour découvrir que sa mère était très douce avec elle mais elle est morte alors que Milena avait treize ans. Elle ne l’a jamais grondée, jamais frappée alors que son père était beaucoup plus violent.

Milena est souvent dans sa chambre mais elle se sent engagée dans le monde : « Rien n'a jamais été gratuit et rien n'a jamais coûté autant de sang que la liberté des hommes ! Au cours des siècles, une loi non écrite s'est instaurée dans le monde : qui ne se bat pas n'a rien ! Tout ce que l'on ne défend pas de ses mains, on le perd ! »

Les rêves jouent un rôle essentiel ainsi que la perception de l’artiste avec « sa vision originale du monde » : « Car le patrimoine de l'artiste a cela de merveilleux qu'il comprend comme matière de son œuvre ses aspirations, ses désirs, ses visions, et même le monde entier.
La terre tournait avant Galilée et le courant électrique existait bel et bien, mais le monde n'en savait rien. De la même manière, ce n'est pas qu'avant Shakespeare il n'y ait pas eu d'Hamlet ou de Michkine avant Dostoïevski, c'est simplement que le monde ne les connaissait pas, que le monde était privé d'eux en quelque sorte, que le monde ne se doutait pas de leur existence et n'en tenait pas compte. »
Une très belle pièce sur le courage, sur l’importance de rester debout dans le monde, sur l’importance de lutter contre le mensonge, sur le rôle du rêve, de la création, du théâtre… Un texte très riche, très fort à la lecture et qui prend toute sa dimension dans sa mise en scène. Milena échange avec la voix de Franz qui reste un compagnon pour elle malgré l’absence. 

Brigitte Aubonnet 
(03/03/21) 



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Théâtre








Les cygnes

96 pages - 12 €












Filip Forgeau,
auteur, metteur en scène, cinéaste et pédagogue, a écrit une cinquantaine de pièces et publié une vingtaine de livres.











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