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Jean-Pierre CANNET


Yvon Kader,  des oreilles à la lune

Yvon Kader est mongolien. « Sur les échographies, je faisais déjà mon intéressant. Et maintenant ce petit air qui est le mien, chinois, pataud. » Cet enfant différent, celui « qui a bu de la lune », vit avec ses parents, Yacine le Kabyle et Annick la Bretonne, et son frère Jimmy. De tendresse familiale, il ne manque pas mais le monde extérieur lui fait peur. « Maman, tu ne veux pas me reprendre, tu ne veux pas corriger ton brouillon ? (...) pourquoi moi ? ». Sa vie est une accumulation d’obstacles infranchissables. Pitié, rejet, sont son quotidien. Sa langue est celle d’un esprit  tourmenté, incapable de rendre compte verbalement de sa pensée. « Tout ce que je dis ici, sans doute, suis-je bien incapable de le dire. Je l'ai pensé intérieurement, si intensément, de moi à moi. (…) Les mots me venaient par paquet, à grosse écume. Ou je criais sous la taie pour écraser ma bouche. Ou je me taisais, souvent je me suis tu. »
Quelques dialogues pourtant émaillent le texte. Propos quotidiens que lui adressent le père, la mère, Jimmy,  Mimi l'éducatrice qu' Yvon rêve un jour d'épouser...
L'adolescent, en quête de reconnaissance et d'amoureuse, cherche sa place dans une société où la différence est un facteur supplémentaire de marginalisation.  « Pourquoi quand il pleut, je suis plus mouillé que les autres ? » Comment en finir avec cette face de lune qu'il ne supporte plus, qui lui interdit tout émoi amoureux, tout espoir de couple, tout métier, tout avenir ? 
Alors, l'adolescent crie, s'énerve, ou se réfugie au profond d'un univers imaginaire sans limite. Et la lettre qu'il voudrait écrire pour Noel, dirait :
« Bien cher père Laden. (…) Je te commande une ceinture bourrée de dynamite. (…) J'y enfermerai tous mes ennuis et mes ennemis : la petite de la galerie marchande et ceux qui rigolent. (...) Les gens de pitié qui me laissent leur place dans le métro. Le métier plus tard que l'on m'empêchera d'exercer, (…). L'amour qui ne veut pas de moi et ces baisers que je n'aurai pas (…). J'ai peur, à l'âge de mourir, de n'être pas encore né, de n'avoir jamais fait l'amour, de n'avoir pas d'enfants. »
Ou alors :
« Pour Noël, je voudrai devenir quelqu'un. »

Implacable, dérangeant, ce texte noir, entre poésie et désespoir, nous confronte à la souffrance solitaire d'un adolescent lucide que son handicap exclut. Il nous renvoie aussi à notre incapacité à voir au-delà, à comprendre, à partager. En mettant des mots sur la douleur du trisomique, en faisant de nous les dépositaires de sa parole, il nous le rend proche, crée un lien.
En accompagnant son héros avec fraternité, en fouillant avec sensibilité son regard intérieur, c'est du handicap mais aussi de l'adolescence et de tous ceux que la différence stigmatise ou que la vie laisse sur le seuil que Jean-Pierre Cannet nous parle.
Une pièce qui, sans fard et sans effet, ose aborder un sujet difficile en sondant en profondeur l'autre, en lui réattribuant la parole interdite. Poignant !

Informations sur les représentations : www.theatredupelican.fr



La foule, elle rit

Zou habite avec sa mère dans un pays de misère. Ses frères aînés sont déjà partis à la recherche de l' Eldorado. Le premier est mort lors de la traversée, bouffé par des requins, comme beaucoup d'autres. Le second a eu la chance de parvenir sain et sauf jusqu'au Nord de la France tout près de l'Angleterre tant espérée. Mais le tunnel pour y parvenir est long et le clandestin qui s'y engage à pied ne verra jamais l'horizon à son extrémité.
« Petit brin de Zou », qui communique dans son sommeil avec eux, sait cette terrible réalité qu'il tait à sa mère, la laissant meubler l'assourdissant silence de ses frères avec de déraisonnables espoirs.
Lui aussi veut, doit partir mais il le fera à sa façon. Comprenant que rien ne sert de chercher à se faufiler, à se cacher dans la nuit, à tenter de se rendre invisible, il décide au contraire de réussir à franchir les frontières de jour, en se rendant le plus voyant possible. Depuis sa petite enfance, sa mère, ses frères, son entourage lui ont toujours dit qu'il était très doué pour faire rire.  Et si c'était ce rire, qu'il sait si bien provoquer, qui pouvait lui ouvrir les barrières que gardent les douaniers ? C'est le moment où jamais de mettre son talent à l'épreuve. « Faire rire ou mourir ! »
La mère a tricoté un impossible costume bariolé pour habiller les rêves de son fils. Laissez passer le clown, avec son nez rouge, ses chaussures démesurées, sa trompette à quatre sous et sa valise en carton ! 
Le voyage est long, dangereux et difficile : « Maman, ma petite mère, j'ai beaucoup voyagé, j'ai beaucoup rencontré. Des gens et puis des gens mais l'histoire d'un homme n'est jamais la même histoire. Le cœur fréquente le cœur, c'est la raison qui est infréquentable. J'en ai vu qui se faisaient arrêter, j'en ai vu auxquels on passait les menottes comme à des criminels. Des clandestins comme moi, ils ont eu le temps de me prévenir. »
Il avance, jours après jours vers le chapiteau et les applaudissements. « J'aurai bientôt un numéro pour faire rire, avec un nœud papillon à pois et avec un nez rouge. Clown c'est affaire de proportions entre la bouche qui est grande et les pompes qui chaussent au moins du quarante-sept ; les chaussures immenses, c'est pour écraser la morosité, les petites contingences, les véroles ordinaires et c'est parti ! Comme un coup de rasoir fait la bouche encore plus rouge. » 
Son interminable voyage, se nomme faim, froid, peur, épuisement. Avec ces frontières, toujours à traverser, gardées par « un douanier avec une voix de pantin sec qui ne plaisante pas. Il prend les gens pour très peu, ce qui ne fait même pas le poids de leur ombre. »
Mais si le clown est bon, le rire sera son laissez-passer. 
« – Le douanier rit et les gens autour de nous rient. Et la foule, elle rit. Tous ces rires, ils couvrent le bruit de la mer et des trains. Tellement ils rient, tous ces rires !
 – Allez, passez !... Zou ! »

Une pièce extraordinaire de contrastes entre ombre et lumière,  rire et  violence. Zou est un personnage formidable. Sa force et sa tendresse nous chamboulent et la langue, sensible, belle, toujours si juste et si personnelle de Jean-Pierre Cannet fait le reste. Du grand art !

Informations sur les représentations :
http://www.ecoledesloisirs.fr/actualites/spectacles/spectacles.htm

Dominique Baillon-Lalande 
(03/02/11) 



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L'École des Loisirs









Jean-Pierre Cannet,
né en 1955 à Quimper,
partage son existence entre Clamart et Vézelay en se consacrant exclusivement à l’écriture (romans, nouvelles,
poésie et théâtre).













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