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Audience
Vernissage

Deux pièces de

Václav Havel


Deux scènes connexes ont été aménagées de plain-pied dans l’ « underground » de l’Artistic Théâtre. Deux pièces de Václav Havel, mises en scène par Anne-Marie Lazarini, vont y être jouées. La première s’intitule Audience. Vera (Frédérique Lazarini) et Michael (Marc Schapira), personnages de la seconde pièce Vernissage, vous accueillent. Avec gentillesse, ils vous tendent un coussin avant de vous laisser rejoindre le siège d’une des caisses élevées en gradins.

Audience
En fond de scène, le bureau-cage-verrière d’une brasserie où se trouvent deux hommes : Sladek le chef (Stéphane Fiévet) et son employé Ferdinand Vanek (Cédric Colas).
Le premier a convoqué le deuxième. Il veut en savoir un peu plus sur son compte. Nous sommes en Tchécoslovaquie, dans les années 70, sous le régime communiste.
Sladek a favorisé l’embauche de Ferdinand Vanek parce que c’est dans sa nature, « il aime aider ! ». Même si son employé, auteur dramatique, est un dissident. D’ailleurs il le comprend, parce qu’il estime que « les hommes sont tous des porcs ».
Interrogateur naïf, il contraint Vanek à boire de la bière dont celui-ci n’a cure. Le petit chef évoque sa carrière ratée, il devrait être à l’heure actuelle un grand chef brasseur, si la vie, hélas ! Quant à Vanek, avec toute son instruction (n’écrit-il pas des pièces de théâtre ?), il n’est pas à sa place, à rouler des fûts de bière à longueur de journée dans le froid. Et lui, Sladek, peut le promouvoir magasinier. Et si, écrivain qu’il est, il connaît La Bohdalova (vedette de cinéma), « ils pourraient organiser une soirée tous ensemble ».
Sladek (excellent Stéphane Fiévet) décapsule bière sur bière. Il questionne, humilie son employé. En secret il a écrit des rapports sur Vanek, homme droit comme un I, qui exécute son  travail sans moufter. Il demeure impuissant à lui faire abjurer ses idées.
C’est que les deux hommes, si dissemblables en apparence, ont en commun leurs « convictions respectives » ; sorte de calage identitaire indispensable.
Mais au-delà de leur différence, sous l’égide de l’appareil communiste, ne se débattent-ils pas, chacun à leur manière, dans les mailles invisibles d’une toile d’araignée diabolique ? Et au final, lequel est le plus résistant des deux ? Vanek ou bien Sladek, qui s’en vient, à croupetons, larmoyer dans le giron de son employé ?
Audience dissèque l’esprit d’un système tragique, les relations de l’individu au collectif. La privation de liberté individuelle. Histoire de mieux être au monde. Pas de satire cinglante chez Václav Havel, juste un état des lieux post printemps de Prague 68.

Vernissage
Notre carton d’invitation à la main, nous changeons de salle. Nous voilà en compagnie de Vera et Michael au sein d’un appartement cossu, de tableaux ressemblants décoré.
Michael, nœud pap, virevoltant est costumé à la façon d’un dandy romantique, tandis que Vera, sa femme sexy et aguicheuse, est mue par l’exemplarité d’une extraordinaire réussite sociale et culturelle. Les deux invitent leur meilleur ami Ferdinand, ouvrier dans une brasserie, à partager leur bonheur.
Que pense-t-il de leurs tableaux accrochés aux murs ? De tout ce génie, là… sous ses yeux ! Il faut qu’il rompe, une bonne fois pour toutes, avec le train-train de son contentement d’ouvrier brasseur. Et comment se fait-il, qu’avec sa femme, il n’ait pas d’enfant, alors que leur génial petit Pierre, à eux, entend parler les grenouilles.
Michael a ramené d’extraordinaires 33 tours de Suisse. Le couple torture d’une musique abrutissante les oreilles de  Ferdinand.
Au fil de leur enjouement, se dévoile chez Vera et Michael, le véritable sens de leur union, où l’apparat du bonheur n’est que le masque de leur béance existentielle.

Anne-Marie Lazarini, comme pour Artistes en appartement(s) – pièce qui nous avait enthousiasmés à Encres Vagabondes –, aime les mises en scène singulières. Elle cherche à intégrer le public dans le décor scénique, à lui tendre la main. Avec une intuition naturelle, elle distribue l’espace théâtral d’une autre manière afin de parvenir à une quintessence dramaturgique, et le choix de ces deux pièces de Havel est une réussite.

Václav Havel, l’auteur dramatique tchèque, mort en 2011, est une stature. Il est le double de son personnage Ferdinand Vanek, projeté à la lumière des tréteaux. Dissident de la première heure face à l’appareillage communiste, il est  devenu, en décembre 1989, président de son pays.

Que dire de plus ! Allez voir Audience et Vernissage, ces pièces d’une si belle facture ; une sorte de décalcomanie dramatique de notre monde.

Patrick Ottaviani 
(16/11/16)    



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Une loge
pour le strapontin











Artistic Athévains

45 bis rue Richard-Lenoir
75011 Paris

Métro : Voltaire

Réservation
01 43 56 38 32





Mise en scène
Anne-Marie Lazarini

Avec
Cédric Colas
Stéphane Fiévet
Frédérique Lazarini
Marc Schapira

Scénographie,
lumières
François Cabanat

Costumes
Dominique Bourde

Assistant
à la mise en scène
Bruno Andrieux














Gallimard
, 1980
208 pages - 21 €