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Photo © Sladjana Stankovic
Cette chose-là

de
Hristo Boytchev




Les théâtres parisiens réservent parfois des surprises. Près de la Gare de Lyon, à la Maison d’Europe et d’Orient, nous sommes loin de l’escalier en marbre, des fauteuils feutrés et du grand rideau rouge qui se lève sur une scène profonde. Le lieu où nous pénétrons, par ce passage Hennel, est une librairie – déjà les mots nous accueillent. La salle de spectacle se tient derrière une porte au fond de l’établissement.

Cette chose-là est la première tentative d’écriture théâtrale de Hristo Boytchev, ingénieur bulgare. Après sa création à Sofia en 1981 et le succès aussitôt confirmé, il se fera connaître d’un hémisphère à l’autre de notre monde.

Dinko (le personnage principal de la pièce), responsable d’un passage à niveau derrière lequel plus aucun train ne passe mais qu’il maintient en service avec la rigueur d’un fonctionnaire exemplaire, entend les bruits de Cette chose-là dans son grenier. Elle l’empêche évidement de dormir. Elle devient ce mystère qu’il faut résoudre et neutraliser (on ne peut vivre que dans un monde raisonnable) : Qui est-elle ? Sous quelle forme se présente-t-elle ? Sa femme enceinte jusqu’au menton et ses amis l’aideront à tenter de capturer cette chose-là. Seul lui l’entend mais elle perturbe l’ensemble de cette communauté. Font-ils semblant de ne pas l’entendre ? Préfèrent-ils ignorer son existence ? Elle devient la question : Est-elle ou n’est-elle pas ? Dinko pour peupler ses longues nuits d’insomnie fabrique toutes sortes de pendules : une pendule à pétrole, une pendule à charbon… Par ce travail, il essaye d’oublier (de ne plus entendre) que la chose marche dans son grenier. Il découvre aussi en admirant ses pendules fonctionner qu’il peut voir enfin la vie s’écouler.
Nous sommes dans la métaphore de l’existence (la chute nous le dira). Certaines scènes caressent avec bonheur l’absurde et le grotesque. L’humour aussi est parfois au rendez-vous.

Si proches de nous dans cette salle, les comédiens, dont chaque rôle est taillé finement sur mesure, évoluent avec aisance et nous transmettent bien l’anxiété de la texture de cette pièce : Franck Lacroix en conducteur de train que la régularité d’une voie ferrée rassure (métaphore à nouveau de la vie) ; Salomé Richez psychologue qui tente de résoudre le problème de la chose en notant tout pour rationnaliser les faits (tout peut-il tenir dans les mots ?) ; Christophe Sigognault, l’ami en embuscade, toujours en embuscade (derrière le paravent de la vie) ; Federico Uguccioni qui refuse de retourner là-bas ce lieu qu’il ne connaît que trop bien (un lieu qui ressemble à l’enfermement) ; et bien sur Laurent Grappe, notre Dinko que la chose perturbe alors que justement sa femme (Céline Barcq) attend de lui un enfant.

Sans doute aurait-il fallu, pour que la mise en scène de Dominique Dolmieu trouve toute son expression, un lieu plus vaste. Mais dans l’intimité de la Maison d’Europe et d’Orient il déploie tout son talent.

Cette chose-là de Hristo Boytchev, ne peut que nous interroger sur nous-mêmes. Le théâtre, la littérature, la poésie ont ce rôle : nous questionner. Après avoir vu ce spectacle, je ne pourrai pas dire que j’ai entendu des pas dans mon grenier cette nuit-là, mais je ne peux affirmer qu’ils n’étaient pas présents.

David Nahmias 
(14/11/10)    



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Une loge
pour le strapontin










Maison d'Europe
et d'Orient


3 passage Hennel
75012 Paris

Location :
01 40 24 00 55




Traduction du bulgare
Ianna-Maria Dontcheva

Mise en scène
Dominique Dolmieu

Avec
Céline Barcq
Laurent Grappe
Franck Lacroix
Salomé Richez
Christophe Sigognault
Federico Uguccioni








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