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Frédérique VORUZ


Autrice, comédienne
et metteuse en scène




Vos parents sont des personnages très marquants. Vous avez ressenti le besoin de parler de votre enfance plus que particulière. A quel moment avez-vous commencé à écrire et quel rôle a joué l’écriture pour vous ?
J’ai toujours parlé de mes parents. Bien avant d’écrire le spectacle et le livre, je les imitais lors de moments avec mes amis. Je leur faisais de petites saynètes de mon enfance, des pastilles de souvenirs que je racontais pour les faire rire, j’ai toujours fait de ma famille des personnages de théâtre. Bien avant l’écriture de Lalalangue. Je m’étais toujours dit que je finirais par en faire un spectacle. Pour ne pas gâcher comme disait ma mère. Pour faire quelque chose de cette enfance si théâtrale. C’est après avoir quitté le Théâtre du Soleil que j’ai décidé de commencer à écrire. Il me fallait trouver mon autonomie, ne pas attendre après les autres pour trouver du travail, et trouver mon identité artistique. Je ne savais pas ce que cela donnerait. J’ai jeté mes idées, textes, pensées sur le papier durant six mois, puis j’ai écrit la version définitive en deux semaines, d’un trait, sans me référer du tout au brouillon. Cela fut une merveilleuse sublimation. Le principe même du théâtre : faire du beau, du drôle, avec du laid. Transformer. Ecrire m’a permis de prendre énormément de distance avec mon histoire. Grâce à l’écriture, elle est devenue une fiction. Ce n’est plus ma vie, c’est une histoire. Ce n’est plus moi qui ai traversé cette enfance, c’est le personnage. Bien sûr que c’est moi, bien sûr que cela me touche encore beaucoup, mais le passé est par l’écriture réellement devenu le passé, et a laissé place au possible du présent. L’écriture m’a laissé libre de réinventer de nouvelles relations. Je ne parle plus de mes parents maintenant. Je n’en ai plus besoin. Et cette histoire m’a permis d’accéder à une forme de reconnaissance avec ce qui me faisait honte, me faisait souffrir. C’est quand même merveilleux le pouvoir de l’écriture ! Comme dit Simon Abkarian, qui m’a fait l’honneur d’écrire la préface du livre, « dire, c’est réparer ». Ce spectacle, ce livre me répare, répare les relations de famille, réinsuffle du dialogue, la parole renaît.
Le livre est venu dans un second temps. Il a été une proposition d’Emmanuelle Bucco-Cancès, directrice de la maison d’édition Harper Collins, et de Marie Eugène, directrice de la collection « Traversée » dans laquelle Lalalangue est édité. Marie m’a proposé de transformer le texte du spectacle en récit, et d’y apporter de nouveaux éléments. Comme Lalalangue est un monologue, même si j’y incarne tous les personnages, cela a été possible. Et une nouvelle aventure. L’occasion pour moi de reprendre l’écriture, écrire ce que je n’ai pas la place de dire en spectacle. Par exemple, je parle davantage de mon père dans le livre. En spectacle, je le joue, l’incarne, improvise. Il fallait le représenter davantage à l’écrit, pour que le lecteur le voit comme le spectateur.
En somme, l’écriture a été un outil de sublimation du réel, tout comme le sont pour moi le théâtre, le dessin, la peinture.

Quel est l’apport de la mise en scène du texte ?
Dans le spectacle, beaucoup de passages sont dits avec la voix (et le corps) des personnages. Parfois même juste des morceaux de phrases, le personnage arrive en cours de réplique. Il y a les chants qui ont ponctué mon enfance et qui rythment le texte. Et bien sût il y a les diapositives de famille, projetées tout au long du spectacle, et qui représentent mes parents, parfois mes frères et sœurs, surtout ma mère, et moi enfant. Il y a aussi des diapositives représentant des paysages de montagnes, sur lesquelles sont inscrits les titres des chapitres que l’on retrouve dans le livre. Les montagnes comme paradis perdu de ma mère. Il y aussi quelque chose rond, du cycle dans le spectacle, je suis assise sur une grande chaise haute, qui outre le fait qu’elle permette de montrer l’enfance avec mes pieds qui ne touchent pas le sol, permet ces « tours de chaises », ces nombreux moments où, comme pour tourner une page d’un livre, le personnage fait un tour pour faire avancer l’histoire, changer de sujet, balayer la situation. Ce sont des moments suspendus où les personnages ont voix au chapitre, comme le père, qui fait ses tours en parlant tout seul, se racontant des blagues, riant au ciel.

Vous évoquez votre psy, l’écriture et le spectacle permettent la mise à distance, l’humour. Est-ce une autre forme de psychanalyse ?
Je ne dirais pas que le fait de faire le spectacle puis le livre furent une autre forme de psychanalyse, plutôt son prolongement. Rien n’aurait pu exister sans l’analyse, qui m’a permis de mettre en mots cette histoire. Et elle est son prolongement car Lalalangue est en quelque sorte un témoignage d’analyse mis en corps. Alors bien sûr ce spectacle me permet de continuer de guérir, en offrant cette histoire au spectateur ou au lecteur, cela devient leur histoire, plus seulement la mienne. Je m’en déleste en l’offrant à l’autre, on la partage ensemble, cela devient un objet hors de moi. En cela aussi c’est en effet une sorte de psychanalyse puisque Lacan dit qu’on guérit du symptôme en le mettant hors de son corps.
Mon analyste a énormément d’humour. La distance vient de cela pour elle aussi. On dédramatise, on dévie du pathos, on allège la lourdeur des névroses. Cette mise à distance, ce second degré, cette lucidité de l’analyse perdure dans Lalalangue. C’est donc plus une conséquence de l’analyse je dirais.

Comment est né votre désir de devenir comédienne ?
Devenir comédienne fut plus une nécessité au départ. Comme je le développe dans Lalalangue, le regard a pris une place très importante dans mon enfance. Cette certitude que j’avais d’être épiée par Dieu m’a mise dans une situation de mise en scène permanente. On dit en psychanalyse que le métier que l’on choisit est une réponse à un symptôme. Le métier d’actrice serait ma réponse. J’ai transposé ce regard encombrant, en ai fait quelque chose.
Mais c’est vrai que d’aussi loin que je me souvienne j’adorais être sur scène. C’est là que je vivais, m’épanouissais. Les choses y étaient à leur place. Je choisissais d’être vue, je ne subissais plus le regard. Je reprenais le contrôle quelque part. J’ai rencontré à mes quinze ans une troupe amateure qui s’inspirait du travail d’Ariane Mnouchkine. C’est là que j’ai vraiment découvert le théâtre, pris du plaisir à jouer et, je pense, formulé consciemment le désir d’en faire un métier. Et j’avais le désir d’intégrer une famille, une troupe. J’aime travailler en collectif. Cela fait partie de ce choix d’être comédienne.
Et dans le choix d’être comédienne, il y a eu le plaisir de faire rire. Faire rire a été au cœur de cette décision.

Vous êtes restée dans la troupe du Théâtre du Soleil pendant huit ans. Quel est l’apport de cette expérience dans votre parcours de vie et votre parcours artistique ?
Mon expérience au Théâtre du Soleil a été fondatrice. J’y ai appris les bases de mon métier de comédienne, l’exigence de ne monter sur un plateau que pour y vivre quelque chose d’essentiel. Au Soleil, l’enjeu est vital. La langue aussi est importante au Théâtre du Soleil. Ariane cite souvent la phrase de Albert Camus, qui est en exergue dans mon livre : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Je m’y retrouvais. Mon jeu est aussi incontestablement influencé par ce que j’ai appris au Théâtre du Soleil : le corps est engagé, le travail du masque très important, le jeu est expressif.
Et d’un point de vue analytique je dirais que le Soleil m’a permis de passer de ma mère au monde. J’y ai trouvé une famille, un groupe, une île, qui m’a donné le temps de me construire avant de pouvoir affronter ce que c’est que de trouver sa place dans ce métier.

Après Lalalangue (qui vient d’être joué au Théâtre du Rond-Point), il y aura une suite, Le Grand Jour, qui sera présentée au Théâtre du Soleil du 15/02/2023 au 05/03/2023. Sans tout nous dévoiler, pouvez-vous nous dire quel en sera le thème ?

Le Grand Jour est en quelque sorte une mise en abyme fictive de Lalalangue, en cela qu’on y retrouve le personnage de La Mère, mais fictive car on l’y enterre. Je me suis permis davantage d’inventer pour ce spectacle. La fratrie n’est pas la mienne, ils ont d’autres noms, d’autres blessures, d’autres mots, même si j’ai tout de même puisé dans mon histoire, mais plutôt comme base pour m’en éloigner.
En quelques mots, c’est le jour de l’enterrement de la mère. Au retour de la mise en bière, dans la cuisine, la fratrie à fleur de peau règle ses comptes, déterre les secrets de famille, dit ce qui n’a jamais été dit. C’est vif, à vif, ça ne sait pas s’aimer. J’ai gardé le ton de l’humour noir pour ce spectacle, qui encore une fois permet la mise à distance, le rythme, on ne tombe pas dans le pathos.

Est-ce que ce sera votre première expérience de mise en scène et pourquoi ce choix ?  
Le Grand Jour est en effet ma première mise en scène, même si pour Lalalangue, j’avais déjà avancé beaucoup de choix scéniques avant de retravailler le spectacle avec Simon Abkarian. J’avais envie de diriger un certain nombre d’acteurs. M’éloigner du seule en scène pour me pousser à créer complètement autre chose, puisque nous serons 8 acteurs et actrices au plateau. Je voulais rester dans le thème de la famille, parler des frères et sœurs, des rapports compliqués entre eux lorsque la relation à la mère l’a été autant. Comme beaucoup dans mon travail, je souhaite réinsuffler du dialogue, et dans ce spectacle, les personnages se disent ce qui n’a jamais été dit. Sont révélés au grand jour les secrets de famille, les rancœurs, les souvenirs douloureux, les personnages avancent au long du spectacle, et l’enjeu est de les rapprocher.
Et d’un point de vue totalement pragmatique, c’est un bonheur de travailler avec cette formidable équipe de comédiens et comédiennes. Ils sont extrêmement talentueux et c’est une joie de les diriger. Encore une fois, c’est aussi l’aventure collective qui m’a donné envie de travailler avec autant d’artistes au plateau.

Vous êtes aussi illustratrice. Avez-vous un projet de bande dessinée ?
Souvent, les spectateurs de Lalalangue me parlent de bande dessinée.
Dans le jeu, le traitement et l’histoire, il y a en effet ce côté BD. Certainement car enfant, j’en lisais et en dessinais énormément. Gaston Lagaffe, Astérix, Picsou, le Marsupilami rythmaient mes vacances et dessins. Et en effet, j’ai le désir d’adapter un jour Lalalangue en bande dessinée. J’ai même déjà entamé un brouillon. La seule chose qui fait que je n’ai pas encore commencé les planches est que créer une bande dessinée, cela prend énormément de temps. Je pense que l’on parle en termes d’années. J’ai pour le moment d’autres projets et engagements qui font que je ne peux m’y consacrer pleinement. La priorité reste encore la scène. Mais peut-être qu’un jour ce désir sera davantage rassasié, je me lancerai alors dans cette entreprise plus solitaire.


Propos recueillis par Brigitte Aubonnet
(Décembre 2022)









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frederiquevoruz.com














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Le Grand Jour

au Théâtre du Soleil
du 15 février
au 05 mars 2023

Texte et mise en scène
Frédérique Voruz


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