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Philippe VILAIN

L’autofiction, s’instaurer personnage de soi-même



Quel a été votre rapport à la littérature et à l’écriture ?
C'est un peu compliqué car je ne peux pas dissocier mon rapport à la littérature de ma scolarité. Toute mon enfance et toute mon adolescence ont été des périodes sans lecture, sans livre. Les années de collège, jalonnées de redoublements, avant l'orientation vers une filière technique, m'ont longtemps tenu éloigné de la chose littéraire. J'ai commencé à lire tardivement, vers l'âge de 18 ans, après avoir obtenu mon B.E.P. d'Agent Administratif et avant de reprendre la filière générale. Je ne peux pas exprimer le choc que j'ai ressenti à cette époque en lisant pour la première fois La Nausée de Sartre, L'Etranger de Camus et L'été 80 de Marguerite Duras. Ces livres-là resteront à jamais comme mes livres fondateurs, révélateurs d'un type d'écriture à la première personne. Je me demande souvent comment j'ai pu passer directement d'une vie sans livre à Sartre, comment j'ai pu faire ce grand saut. Avant cela, la littérature n'a jamais été pour moi une source de plaisir et aujourd'hui encore d'ailleurs, il est rare que je lise un livre en entier, que je termine un livre que j'ai commencé. Il faut souvent que je me prenne par la main pour lire. J'ai dit quelque part dans L'Etreinte que je lisais seulement par "nécessité intellectuelle". C'est vrai. Cela étonnera sans doute, mais lire m'ennuie. Je lis relativement peu pour un écrivain et pour un étudiant en lettres. En revanche, si je tombe sur un livre qui me plaît, je suis capable de le relire beaucoup de fois, jusqu'à ce que je comprenne son architecture, sa petite mécanique, pourquoi ce livre réussit à m'émouvoir. Assez curieusement, cependant, ma nécessité d'écrire s'est imposée à vingt ans, deux ans seulement après avoir commencé à lire. J'ai su tout de suite que j'étais fait pour cela, écrire. Que c'était l'écriture qui allait pouvoir me sauver. L'écriture me permettrait de justifier mon existence. C'est très sartrien ça, comme si l'existence sans l'écrit risquait de ne pas avoir de réalité.

Vous avez écrit dans L’étreinte : « Mon père avait sans doute identifié sa propre histoire à celle du livre. A l’époque, il me semble que je partageais sa méfiance à l’égard de la fiction et de la littérature que je considérais comme une immense tricherie. » Pour vous la littérature n’est que tricherie ?
C'était sans doute une réflexion un peu naïve mais qui traduit très bien la méfiance que m'inspirait la littérature. Il me semble avoir perçu assez tôt les pouvoirs de la fiction littéraire. La possibilité de transformer sa vie. Cela représentait sans doute à la fois une aubaine et un danger pour moi qui aspirais tant à changer de vie ; une aubaine, parce que je pourrais me créer un endroit où me réfugier, où me protéger, où m'inventer, et un danger parce qu'à force de s'inventer on finit par se perdre. La fiction me semblait incompatible avec une certaine recherche de vérité.

Vos écrits sont autobiographiques mais très littéraires avec une distance qui rend le livre encore plus fort et émouvant. Ce n’est pas toujours le cas, le trop véridique atténue parfois l’émotion de l’écrit.
Je ne sais pas si l'on peut établir une distinction aussi nette entre l'autobiographique et le littéraire. En fait, les deux me semblent liés. Lorsque je lis L'Espèce humaine de Robert Antelme, je n'ai pas l'impression que le "trop véridique" atténue l'émotion de l'écrit, dans ce cas, j'ai plutôt le sentiment qu'il la renforce au contraire. C'est la fiction qui en aurait, il me semble, atténuée la portée et l'intensité. Il n'y a donc pas de règles strictes, mais seulement des écrivains qui essaient avec leurs outils et leurs moyens de transmettre une vision, réelle ou fictionnée, du monde. Et ce sont précisément l'utilisation de ces outils de transmission qui signalent ou non, qui manifestent ou non, la présence du littéraire.

Vous aviez déjà écrit avant de publier votre premier roman.
Oui, de 18 ans à 24 ans, j'ai écrit trois romans et une pièce de théâtre. J'étais assez prolixe. Ces textes étaient maladroits parce que justement ils cherchaient à "faire littéraire". C'est le piège de croire qu'il faut absolument faire des belles phrases. Quand on commence à écrire, on cherche à bien écrire, c'est d'ailleurs pour cela qu'on n'écrit pas de bonnes choses en général. Faire de la littérature, c'est pour beaucoup trouver des tournures précieuses, qui sonnent bien plutôt que juste. Je crois qu'on devient écrivain quand on a dépassé ce souci-là, de bien écrire. Mais ces premiers romans maladroits sont pour moi très importants car ils révèlent déjà une thématique essentielle qui, je m'en aperçois, ne m'a pas quitté : l'attachement entre les êtres. Tout a vraiment commencé pour moi en 1996. Ma nouvelle, intitulée D'une histoire l'autre, a été primée lors du concours de l'université de la Sorbonne Nouvelle et publiée. C'est l'histoire d'un déménagement et d'un père qui, d'un lieu à l'autre, recommence à boire. Ce prix m'a donné confiance pour la suite. Dans le même temps, j'ai écrit L'Etreinte. Ainsi, mon premier roman n'est pas un vrai premier roman. Un premier roman s'inscrit souvent dans une œuvre, non encore officialisée, mais en train de se construire. Notre "venue à l'écriture", pour reprendre la formule des féministes qui, dans les années 70, désignaient leur arrivée dans le champ littéraire, est ainsi toujours plus ancienne qu'on ne le croit.

Quand vous avez commencé à écrire aviez-vous déjà un objectif autobiographique ?
Tout à fait. Je constate que ces premiers romans étaient écrits à la première personne et décrivaient déjà ce qui devait refléter mes désirs et mes préoccupations sentimentales de l'époque : le sentiment amoureux, l'attachement. Curieusement, je n'ai jamais écrit sur l'alcoolisme de mon père, j'ai une seule fois essayé d'en rendre compte, mais c'était trop suggestif. Même si j'en avais l'envie, je sentais que c'était encore trop tôt pour en parler. La figure du père apparaît déjà dans le troisième roman, mais il y a entre lui et moi un écran romanesque. C'est lui qui est à la base de mon écriture, je le sais maintenant. Il en est le centre, même quand il n'est pas là. J'écris toujours comme si mon père était un lieu. Je pense à lui, et l'écriture me vient naturellement.

Dans certains écrits on a tout de même l’impression d’être dans un épanchement personnel qui ne se situe pas toujours dans un désir d’échange avec le lecteur. C’est plutôt de l’ordre de la psychanalyse. Ce n’est pas le cas de La dernière année où la dimension littéraire rend le récit extrêmement émouvant.
Vous avez entièrement raison. On a souvent tendance à assimiler l'écriture autobiographique à un épanchement personnel relevant davantage du narcissisme ou de la thérapie. Si écrire sur soi procède aussi d'une certaine mise en scène de soi, on oublie souvent que toute mise en scène est réglée par un ensemble de règles et servie par un projet esthétique qui régit en secret l'apparition et la reconstruction littéraire du moi. Cela pour dire que le risque d'épanchement narcissique qui guette l'autobiographe, n'épargne pas non plus le romancier. C'est assez paradoxal, mais il y a souvent moins de narcissisme dans un je purement autobiographique que dans un il fictif. Ecrire sur soi n'est pas pour moi un plaisir satisfaisant.

C’est quand même une prise de risques.
On s'expose, c'est vrai. Mais lorsqu'on écrit on n'y pense pas forcément, je veux dire, on n'en a pas toujours conscience. L'exposition autobiographique me semble être un faux problème en fait, dans la mesure où, comme je l'ai dit, la mise en scène de soi répond à un principe de construction et d'organisation d'images, de souvenirs, qui contredit le désir d'exposition de l'intime relevant de la pure et simple exposition gratuite.

Vous avez pris des risques, celui aussi de détruire toute relation avec Annie Ernaux. Vous avez dit que si vous aviez à le recommencer, vous le réécririez autrement.
En écrivant L'Etreinte, j'ai effectivement pris le risque de détruire toute relation avec Annie Ernaux. Mais le désir d'écrire était plus fort que tout. Rien ne pouvait m'en empêcher. Il n'y a pas sans doute d'acte plus égoïste que d'écrire. Je vais sans doute passer pour un naïf ou pour un menteur si je dis que je n'ai pas pensé un seul instant à la répercussion que mon texte aurait, mais il s'agit pourtant de la vérité. Pour la bonne et simple raison que je n'étais pas certain de publier ce texte. Cette incertitude m'a permis de ne pas me censurer. Je crois que si j'avais été certain de publier j'aurais écrit un tout autre livre, beaucoup moins violent sans doute. D'une manière générale, l'écriture autobiographique est un genre indélicat, peu précautionneux, parce qu'en parlant de sa vie on implique également la vie des autres à un moment donné, on éclabousse tout le monde. On ne peut rien sacrifier à la recherche de vérité. Et cela peut faire parfois beaucoup de mal. Vivre dans la proximité d'un écrivain est difficile. On est sans doute partagé entre le désir de figurer dans un texte, mais pas à n'importe quel prix, pas n'importe comment, on ne veut pas y figurer avec nos défauts. Mais à mon avis l'écrivain n'a pas à se préoccuper de ce genre de détails, lui il doit écrire et mettre en forme. C'est sa liberté.

L’écrit a toujours joué un rôle important dans votre relation à Annie Ernaux. Il y a eu tout d’abord la correspondance entre vous puis ce livre.
Nous nous sommes rencontrés par l'écriture en effet. Mais l'histoire réelle de la rencontre, un peu différente de la rencontre que j'ai décrite dans L'Etreinte, est trop romanesque pour pouvoir être écrite. C'était en 1990. A l'époque, je vivais avec mon père. Nous devions déménager et nous séparer de meubles et d'objets divers. Un samedi, mon père a donc fait une "foire à tout" dans la ville de Pont de l'Arche, un village près de Rouen. Le soir, en rentrant, il m'a dit qu'il avait rencontré une femme écrivain. Cette femme lui avait acheté Les Mandarins de Simone de Beauvoir. Comme il aimait bien parler, il n'a pas résisté à l'idée de parler de moi à cette femme. Il lui a dit que je faisais des études de lettres et que j'avais l'ambition d'écrire plus tard. Mais mon père ne se souvenait pas du nom de cette femme. L'histoire en est restée là pendant quelques mois. Plus tard, une fois installé à Rouen, nous sommes allés ensemble dans un Salon du livre dans le centre de Rouen. Plusieurs livres étaient exposés sur un tourniquet. Quand mon père a aperçu La place d'Annie Ernaux, il m'a aussitôt dit qu'il s'agissait de la femme rencontrée lors de la "foire à tout". Il m'achète le livre. Et là, j'ai eu un coup de foudre, aussi intense que le jour où j'avais lu L'Etranger de Camus pour la première fois. Je n'exagère pas si je dis que je tiens La Place pour un des chefs d'œuvre de la fin du siècle dernier. J'ai donc écrit à l'auteur pour lui dire combien son texte m'avait bouleversé et une correspondance, plus ou moins régulière, a commencé. En 1993, j'ai choisi La Place pour un mémoire imposé dans un séminaire à l'université. C'est à ce moment que j'ai rencontré Annie Ernaux. Le plus étrange restait à venir. Il s'est en effet avéré que la femme de la "foire à tout" n'était pas Annie Ernaux. Soit mon père s'est trompé de nom, soit une femme s'est fait passer pour Annie Ernaux. On ne le saura jamais. C'est aussi bien comme ça. C'est complètement surréaliste. Cette méprise est fabuleuse, très romanesque finalement. Si j'avais écrit la rencontre réelle sans la modifier, on ne m'aurait jamais cru. Ce genre de méprise n'arrive que dans les mauvais films ou dans les mauvais romans. C'est la raison pour laquelle l'autofiction s'est imposée pour écrire L'Etreinte.

Ce qui est intéressant dans votre démarche, c’est que vous vous soyez posé la question. C’est ce qui donne une dimension littéraire puisque vous avez le souci du lecteur et non pas uniquement le plaisir de raconter votre histoire.
Cela prouve que dans un texte autobiographique l'interrogation sur la forme est au moins aussi importante que l'interrogation sur le contenu. Tout projet autobiographique implique le dépassement de son cas personnel pour aboutir si possible au fameux "universel singulier" de Sartre, ce que du reste Annie Ernaux réussit parfaitement. La force de La Place est que tout lecteur peut s'y retrouver. Même les personnes qui ne sont pas d'un milieu populaire se retrouvent dans le rapport au père, dans cet "amour séparé" comme elle écrit, dans cette distance familiale entre les gens. Et puis, il y a ce style neutre, blanc, sans lyrisme apparent, qui dit simplement l'essentiel.

L’écueil à éviter est la trop grande distance, l’écriture écran par rapport à ce que l’écrivain veut exprimer. Quand l’écrivain arrive à réunir le style et l’authenticité c’est merveilleux.
C'est une réunion merveilleuse effectivement. Je suis fasciné par les "écritures simples", parce qu'il n'y a rien de plus difficile à faire il me semble. La simplicité n'est qu'une apparence ; la complexité est souvent un cache-misère. Plus l'écrivain essaie de condenser sa phrase, plus les mots se chargent en implicite et en émotion. En général, les mots annulent les autres mots. Les mots doivent faire parler le silence. Il y a beaucoup d'écrivains bavards qui écrivent pour "raconter", pour "conter" une histoire, sans se soucier véritablement (se soucier, c'est-à-dire, sans se censurer d'une façon maniaque et pathologique). On a parfois l'impression, et c'est là le drame, que leurs mots sont remplaçables. Je voudrais écrire de la même manière que Giacometti a sculpté.

Vous avez beaucoup parlé écriture avec Annie Ernaux ?
Non, pas spécialement. Il n'y a pas besoin de parler. L'écrivain n'apprend rien de plus que ce que ses textes nous apprennent. Et puis quand on partage l'intimité d'un écrivain on ne parle pas ou peu d'écriture. C'est un domaine qui reste personnel, intime. Pour un écrivain, parler de son écriture est sans doute plus impudique que de parler de sa sexualité.

Dans La dernière année, vous évoquez la difficulté de communiquer. L’écrit est présent puisqu’il y a communication par l’intermédiaire de petits mots et vous utilisez le livre pour exprimer ce que vous avez du mal à dire à votre père.
J'ai toujours éprouvé beaucoup de difficultés pour communiquer. J'écris sans doute en partie à cause de cela. La correspondance a joué un rôle important dans ma vie, et aussi les "petits mots" plus tard, à l'hôpital, que nous nous adressions mon père et moi. Entre mes parents et moi, l'écriture a souvent remplacé la parole.

Lors de la soirée à la B.N.F. sur l’autofiction Annie Ernaux disait qu’elle avait parlé des autres dans son œuvre mais que dans votre livre pour la première fois elle était le sujet d’un livre. Elle a donc eu l’impression de changer de côté et a réalisé que ce n’est pas si facile d’être dans un livre.
Ah oui, elle a dit cela ! C'est intéressant. Je comprends très bien sa réaction. Je crois que ce doit être difficile et perturbant de se retrouver dans un texte, surtout en effet lorsqu'on a l'habitude d'écrire sur les autres. J'aime beaucoup d'ailleurs ce qu'elle écrit dans la préface de son dernier texte, Se perdre, le journal de Passion simple, lorsqu'elle se demande comment son ancien amant S., si celui-ci est amené à lire ce journal un jour, ressentira la révélation de cette liaison. Elle dit très bien : comme "un abus de pouvoir littéraire, une trahison." Je me dis aujourd'hui que c'est peut-être ce qu'elle-même a ressenti après avoir lu L'Etreinte, même si je n'étais pas encore écrivain à l'époque. Mais l'important dans cette formule est l'assimilation de l'écriture à un pouvoir absolu. Cela dit, les motivations qui m'ont conduit à écrire L'Etreinte ne partaient pas du tout d'une volonté de lui nuire. Comment expliquer que ce livre était devenu une grande nécessité ?

Annie Ernaux a-t-elle lu votre texte avant publication ?
Oui, bien sûr. Je le lui ai soumis bien avant de le faire parvenir à l'éditeur. C'était la moindre des choses. Pour le coup, si je ne l'avais pas fait, j'aurais eu le sentiment de la trahir. En jouant le jeu, elle a fait preuve d'une grande tolérance.

Quelle est votre position sur l’autofiction ?
Avant d'évoquer ma position, je voudrais simplement préciser que le concept d'autofiction est né en 1965 sous la plume de Jerzy Kosinski avec L'oiseau bariolé qui raconte les déboires d'un enfant juif sous l'holocauste. C'est son histoire vécue qu'il a racontée en la modifiant quelque peu, dans la mesure où la mémoire est faillible, lacunaire. En 1977, avec Fils, Serge Doubrovsky invente le terme autofiction pour qualifier une "fiction, d'événements et de faits strictement réels". Ce concept, vulgarisé et employé à tort et à travers, suppose à la base l'homonymat entre l'auteur, le narrateur et le personnage. C'est notamment ce qui le distingue du roman autobiographique où le plus souvent le narrateur ou le personnage n'a pas le même nom que l'auteur. L'Etreinte est à ce titre une autofiction. Ce qui m'intéresse dans ce concept, c'est le pouvoir de modifier sa vie en écrivant à la première personne, de continuer ce que la    réalité me refuse ou ne me fait pas vivre. L'autofiction est le prolongement nécessaire qui me permet de refaire mon histoire, de vivre ce que je n'ai pas toujours vécu et, en somme, de m'instaurer personnage de moi-même.

Lisez-vous beaucoup d’autofictions ou d’autobiographies ?
Je lis surtout de la littérature contemporaine, pas plus d'autobiographies, autofictions comprises, que de romans. Quand on écrit, il est nécessaire de lire ce qui s'écrit autour de soi. On a besoin de pouvoir se situer dans le paysage littéraire, voire de s'évaluer, même si ce paysage reste aujourd'hui bien flou. Il me paraît complètement disloqué. Tous les courants sont à peu près représentés. La valeur dominante aujourd'hui reste le genre romanesque.

Et quelle est l’attitude des éditeurs ?
Elle est très ambiguë car l'autobiographie est toujours plus ou moins dévalorisée mais elle reste une valeur sûre du marché. La mention "roman" sur la couverture est un simple trompe-l'œil qui désigne et couvre souvent aussi bien une autobiographie qui n'est pas romancée. Quant à l'autofiction, elle n'a pas encore acquis ses véritables lettres de noblesse en dehors de l'université. Seul Doubrovsky la revendique, les autres écrivains préférant, souvent sous l'influence de leur éditeur, la mention plus générale de "roman" qui risque moins d'effrayer le lecteur. Le romanesque atténue le véridique. Cela permet en même temps à beaucoup de lecteurs de se déculpabiliser à bon compte, en lisant un roman, ils n'ont pas l'impression d'être "voyeurs" comme ils disent. Cette expression me fait toujours bondir, car je trouve qu'elle est d'une totale mauvaise foi. L'écrivain n'oblige personne à lire ses livres. Quand une personne achète un livre, la plupart du temps elle a déjà lu un article ou entendu un commentaire sur le livre. Elle connaît de fait un peu l'histoire avant même d'acheter. Si le lecteur ne peut évidemment deviner à l'avance ce qu'il trouvera dans le livre, il s'attend cependant à trouver des éléments qu'il cherche. Quand on lit un livre écrit à la première personne, placé sous le signe d'une confession ou d'un aveu, on doit s'attendre à trouver des scènes, dures, violentes. Je veux dire qu'un horizon d'attente est créé. Le texte n'institue pas le lecteur en voyeur, c'est le lecteur qui rend le texte impudique. Le lecteur doit lui aussi prendre ses responsabilités. Dire qu'on se sent voyeur, c'est une façon de vouloir atténuer, oublier, la curiosité qu'on a eue.

Et vos premiers écrits étaient-ils influencés par certains écrivains ?
Mes premiers romans ont été écrits sous l'influence de Sartre, Camus et Duras. Mais il est plus difficile d'expliquer dans quelle mesure ces écrivains m'ont directement influencé, de dire ce que leurs textes m'ont appris, car les influences sont aussi en partie inconscientes.

L’écrit vous paraît un moyen d’expression plus facile que l’oral.
Pour moi, l'écrit est une démarche tellement naturelle que j'ai souvent l'impression d'avoir su écrire avant de parler. Tout me vient en écrivant. En parlant, il me semble qu'on reste toujours plus ou moins à la surface des choses. L'écrit a remplacé la parole depuis longtemps. Tout ce que je ne peux pas dire, je le note dans un journal.

Avez-vous le projet de publier votre journal ?
Non, pas du tout. La publication du journal est très intéressante sur le plan littéraire si elle intervient dans le cadre d'une œuvre déjà constituée, comme c'est le cas par exemple pour Annie Ernaux. Peut-être plus tard. On verra. Pour l'instant, je n'en vois vraiment pas l'utilité et surtout je n'en ressens pas du tout la nécessité.

Quelle a été la réaction de votre mère par rapport à vos livres ?
Sa première réaction a été, je crois, la fierté, parce que son fils avait écrit et publié un livre. La seconde, je suppose, a été la frustration de ne pas pouvoir réellement s'en vanter, dans la mesure où je dévoilais un certain nombre de choses de sa vie et de sa personnalité qu'elle aurait préféré cacher. C'est donc une fierté frustrée. Mais elle a eu l'intelligence de ne pas porter de jugement, même si elle a dû parfois en souffrir. Je lui en suis vraiment très reconnaissant.


Propos recueillis par Brigitte Aubonnet
(Encres vagabondes N°22, Printemps 2001)
















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