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Marie-Florence EHRET





Site de l'auteur : http://mf.ehret.free.fr/



Comment vous est venue l'idée d'écrire Fille des crocodiles, un roman qui se situe dans un village du Burkina Faso ?
Lors de mon dernier voyage au Burkina (voir site), je suis allée dans un petit village de brousse, loin du goudron et de la "civilisation" pour apporter à une grand-mère quelques cadeaux, pour elle et pour ses petites-filles. Ces cadeaux je n'en étais que "la passeuse". Ils venaient de sa fille, la mère des petites, ils venaient de là-bas en France, où on gagne de l'argent en élevant les enfants des autres, sans papiers et sans droits. Mais c'est peut-être à moi que Marie a fait le plus beau cadeau en me confiant ces quelques objets pour ses enfants, car elle m'a fait cadeau de son histoire. Je lui devais ce livre en retour, dans lequel j'ai mis toute mon expérience de l'Afrique où je suis allée pour le première fois il y a vingt ans.

Quel rôle joue la littérature jeunesse pour situer les adolescents dans le monde, ses problèmes et ses espoirs ?
Difficile de répondre...Je ne suis qu'un modeste auteur de roman, et je me pose parfois cette question sans pouvoir y répondre !
"A quoi sert un livre ?" demandait Bernard Noël. "A rien. Je dis rien parce que je voudrais tout" répondait-il.
Les livres sont peut-être, qu'ils soient "de jeunesse" ou "de littérature générale" comme ces paraboles évangéliques, qui sont elles-mêmes comme des graines lancées au vent. Les unes sont mangées par les oiseaux, d'autres tombent sur des cailloux et meurent, d'autres pourrissent et d'autres fleurissent. Qui sait si la parole offerte sera féconde ?
La littérature est don, partage. Elle n'a valeur que d'appartenir à celui qui la tient, et qui la donne... D'être d'auteur. Même anonyme : les contes sont paroles anciennes, prises et reprises, elles appartiennent au groupe humain qui les transmet. J'oppose cette parole aux purs divertissements, fabriqués selon des recettes plus ou moins efficaces, publiés comme des livres, et qui font "passer le temps" sans servir à rien.
Un livre peut jouer tous les rôles, faire rire, pleurer, penser, rêver, découvrir, ils peuvent étonner, donner de l'espoir... Aucun genre ne lui est interdit. L'important est qu'il y ait derrière chaque texte quelqu’un de vivant, une expérience vivante...

Vous êtes allée en Afrique il y a vingt ans, c'est un continent qui vous a marquée ?
C'était, je crois, la première fois que je prenais l'avion (je l'ai pris bien souvent depuis, mais à l'époque la chose était moins courante et mes premiers voyages je les ai faits en voiture et souvent en stop...). J'ai débarqué à Dakar où j'ai passé quelques jours chez un ami italien. De Barbès à Dakar, je n'étais pas trop dépaysée, même s'il y avait moins d'Africains de l'Ouest à Paris à l'époque, même si le marché de Sandaga – avec ses tailleurs, ses paniers de gombos, son poisson séché, ses morceaux de viande couverts de mouches – avait de quoi m'émerveiller. Il y avait la mer, il y avait des tas d'ordures et des gardiens aux grilles des maisons riches... Des banques dans le centre, des voitures noires aux vitres fumées et d'autres qui ne tenaient plus que par des bouts de ficelle.
Après quelques jours à Dakar, j'ai pris le train (40 heures à 30 kilomètres à l'heure), 1200 kilomètres entre Dakar et Bamako... Le Mali... Le train n'allait pas plus loin, moi si... J'ai pris des cars, des "bâchés", j'ai dormi sur le bord de la route en attendant que le bâché soit plein et que nous redémarrions. Il y avait la chaleur, le temps, les tables de bois où l'on buvait un café au lait Nestlé, ou un bol de riz mêlé de sable. Et puis ce fut le Burkina Faso... C'était l'époque du camarade Sankara, l'effervescence et l'espoir régnaient dans toutes les cours... Les cours, entourées de cases de terre au toit de palmes ou de tôle ondulée... les cours, avec les chèvres, les pintades, les poules, l'âne... les cours avec les enfants, les femmes, les hommes, les vieux... Et cet accueil si simple, si immédiat si naturel partout...
Plus je me suis enfoncée loin des aéroports, des voies ferrées, des routes, plus mon émerveillement a grandi...

Aviez-vous déjà eu le désir d'écrire un roman se situant en Afrique avant de jouer ce rôle de "passeuse" ? Vous aviez d'ailleurs co-écrit un texte Rapt à Bamako. Comment l'idée était venue et comment s'est passée la co-écriture ?
Après ce premier voyage, je m'étais promis de retourner un jour au Mali. Alpha m'en a fourni l'occasion.
Je connaissais Alpha Mande Diarra quand il était encore étudiant-vétérinaire à Montpellier, c'était un ami de mon voisin de palier. Je n'avais rien publié encore qu'une longue prose-poème, dont les 500 exemplaires étaient loin d'être vendus ! Alpha avait écrit un roman touffu qu'il m'avait demandé de relire et dans lequel j'avais suggéré beaucoup de coupes. A la fin de ses études, il avait choisi de retourner vivre et travailler au pays. Il avait publié ce premier roman, Sahel sanglante sécheresse, puis un second, La nièce de l'Imam, chez Présence Africaine et Sépia.
Quand il passait en France, il ne manquait pas de venir nous saluer, le voisin et moi. C'est ainsi qu'est née l'idée d'écrire un roman ensemble. Bon prétexte pour retourner au Mali. J'ai d'abord séjourné à Bamako, où j'ai rencontré un journaliste de RFI que j'ai eu l'occasion d'accompagner dans ses tournées d'information, dans les makis en particulier – non, rien de clandestin, ce sont juste des cafés de plein air où l'on boit de la bière en abondance en discutant beaucoup ! – et sur un micro-trottoir au sujet de l'excision. Puis j'ai passé quelques semaines à Fana, où travaillait Alpha qui me rejoignait en fin d'après-midi pour voir ce que j'avais fait et me proposer mille idées nouvelles pour poursuivre l'histoire !
Nous nous quittions vers 21h et souvent, le matin, il passait avant son travail m'apporter une feuille sur laquelle il avait griffonné toute la nuit !
J'avais ma cour, que je partageais avec trois autres célibataires, mon puits, mon seau, ma bouilloire, mes toilettes maliennes, un brasero pour la cuisine et du bois à ramasser aux alentours. J'avais aussi l'électricité et un ordinateur portable. Cette première expérience m'a donné l'audace de répondre à la commande d'Albin Michel Education pour trois albums pour enfants, susceptibles de leur faire découvrir la vie d'un enfant à Bamako... Mais c'est pour faire partager ma tendresse pour Marie que j'ai écrit ce nouveau roman, qui lui est dédié. Et à travers elle, mon admiration pour les femmes africaines.

Dans Fille des crocodiles, vous parlez de l'excision, thème dramatique, est-ce que c'était un projet de départ ou cela s'est-il imposé au cours de l'écriture ?
Cela s'est imposé, comme une réalité incontournable de la réalité des femmes. Je ne pouvais pas évoquer la vie au village sans faire état de cette mutilation rituelle dont la pratique concerne environ huit femmes sur dix.

Vous aimez voyager. Quel rôle jouent les voyages dans votre parcours d'écrivaine ?
Où est la poule, où est l'œuf ? Je voyage pour écrire, j'écris pour voyager... Le texte n'est-il qu'un prétexte ?
Je l'ai pensé en particulier avec Hypatie, fille de Théon, ce roman pour lequel j'ai eu tant de mal à trouver de la documentation à Alexandrie, 16 siècles après les faits qui m'intéressaient (le lynchage de la mathématicienne et philosophe Hypatie en mars 415 par une troupe de chrétiens fanatiques). J'y suis pourtant restée plusieurs semaines, persuadée que j'avais besoin du ciel d'Alexandrie pour trouver la juste lumière du roman.

Prenez-vous des notes tout au long de vos périples ?
Oui, je noircis des carnets, d'ailleurs depuis que j'ai un site, je reprends une partie de mes notes et quelques photos pour raconter le voyage aux amis... Suivant que mon projet d'écriture est plus ou moins précis, ces notes sont plus ou moins libres par rapport à lui. Je ne mets sur le site que mes impressions à propos du pays, pas le travail en cours...

Savez-vous à l'avance si vos idées vont aboutir à une nouvelle, un roman ou un poème ?
Il y aura au moins un poème... J'ai plus souvent comme projet un roman qu'une nouvelle (sauf commande particulière, Cherbourg par exemple, paru en janvier 2009, chez Isoëte un éditeur local et régional).
De mon séjour à Berlin en septembre dernier est né Berlin 73 qui sortira en octobre prochain aux Editions Gulf Stream.

Vous animez de nombreux ateliers d'écriture. Comment ce travail s'articule-t-il avec votre démarche d'écriture ?
J'ai eu l'occasion d'animer un atelier à Ouagadougou (capitale du Burkina-Faso) initié par la coopération française auprès de professionnels africains du livre (enseignants, journalistes, voire ouvrier imprimeur).
Chacun a rédigé un texte jeunesse (5000 signes) J'ai énormément appris sur la vie en Afrique durant ces huit journées de travail ! Beaucoup plus sans doute que mes ateliéristes n'en ont appris sur la littérature jeunesse !
Mais ce n'est pas toujours facile de faire le lien entre l'écriture partagée et un travail plus personnel... Souvent, je sors vidée d'un atelier où j'ai mis toute l'énergie, toute l'imagination, toute l'attention dont j'ai besoin pour mon propre travail...
Mais ce sont aussi ces ateliers qui maintiennent le contact entre moi et le "vrai monde", qui me protègent d'un risque d'enfermement et de folie qu'aucun créateur n'ignore...

Vous avez écrit sur la musique, sur la danse, en écho à des photos. Comment alliez-vous d'autres arts à l'écriture ? Quels échos suscitent-ils dans vos écrits ?
L'amour est toujours l'amour où qu'il se pose, cannibale et protecteur, possessif et généreux... Ainsi la création artistique est-elle elle aussi toujours création, qu'elle danse, parle, écrive, chante ou regarde... La retrouver dans l'épaisseur de sa matière propre, dans la spécificité de ses outils, avec les miens, les mots, la syntaxe, le souffle, le rythme... Retrouver l'auteur derrière l'œuvre, l'humain à rencontrer, offert là mieux que nulle part ailleurs. Non l'anecdote d'une biographie, mais l'émotion... Quelle émotion suscite en moi cette image, ce mouvement ? Comment rendre cette émotion par des mots ? Tout le travail est là.

Quel rôle jouent les résidences d'écriture dans votre parcours de créatrice ?
Les résidences ont un rôle très important dans mon parcours. Elles représentent un détournement heureux qui me ramène à moi-même. Elles font rupture dans le cours habituel de la vie, l'envahissent comme un fleuve en crue, et laissent de même derrière elle de riches sédiments...
J'aime le dépaysement qu'elles entraînent, la solitude et le renouvellement qu'elles imposent, les rencontres qu'elles permettent. J'aime découvrir d'autres paysages, d'autres couleurs, d'autres langues parfois...
J'aime l'éloignement qu'elles m'imposent, qui me rapproche du centre.
J'aime la légèreté qu'elles entraînent. On vit avec une valise !
Ma dernière résidence à Berlin a été particulièrement enrichissante ! En deux mois, j'ai appris autant qu'en des années ! Et à mon retour j'ai écrit avec une incroyable facilité !

Vous avez un site Internet où certains de vos écrits sont en ligne ? Est-ce que cela crée d'autres liens avec vos lecteurs ?
Disons que c'est une très plaisante façon de préparer ou de prolonger la rencontre réelle avec les lecteurs. Je ne sais pas si de simples lecteurs sont allés du livre au site, mais en revanche, de nombreux élèves ont suivi mes voyages, en direct ou en différé ! De nombreux professeurs les ont accompagnés, ou ont utilisé les textes du site pour une première lecture.

Vous avez en ligne, entre autres, un texte sur les huissiers et un texte sur une rencontre avec un éboueur. Ce sont des thèmes ancrés dans la vie quotidienne. Quel rôle joue l'écrivain dans la cité ?
On l'a dit et redit, l'écrivain vivant est souvent le passeur de ses livres, mais bien au-delà, il est le témoin de l'écriture, au double titre d'auteur et de lecteur. Il est la preuve vivante de la littérature ! Mais il est aussi dans ses livres le témoin de son temps, de ses aveuglements, de ses enthousiasmes, de ses colères, de ses peurs, de ses questions...

Sur quels critères mettez-vous en ligne certains de vos écrits ?
Ecrits de voyage, nouvelle isolée, coups de coeur...

Quels sont vos projets d'écriture ?
Plusieurs textes courts pour les plus petits et un roman ado aux Editions Gulf Stream pour les 20 ans de la chute du Mur de Berlin, Berlin 73. En projet aussi un roman ado, autour de l'anorexie... En souffrance, un roman vietnamien que je ne désespère pas d'envoyer un jour en mer !

Propos recueillis par Brigitte Aubonnet 

Mise en ligne : Février 2009




Fille des crocodiles




Comme un coquelicot










































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