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Stefan ZWEIG
Le joueur d'échecs
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Le 21 février 1942, à Petrópolis, au Brésil, Stefan
Zweig note à la main la date du jour, comme date d'achèvement de
sa nouvelle : Le joueur d'échecs. Le lendemain 22 février, en compagnie
de sa jeune femme Lotte, il se donnait la mort.
New-York, 1939.
Un luxueux paquebot lève l'ancre pour Buenos-Aires. A son bord, Mirko
Czentovic, le jeune champion du monde d'échecs, un être ignare,
stupide et arrogant auquel va s'intéresser le narrateur qui voyage en
compagnie de sa femme, "j'avais l'intention d'étudier ce curieux
spécimen de monovalence intellectuelle pendant les douze jours de traversée."
Mais comment faire pour l'aborder ?
Vient une idée au narrateur. Dans le smoking room, il dresse un "échiquier-piège"
afin d'attirer l'attention de Czentovic. Mais c'est McConnor, un ingénieur
des mines milliardaire, qui mord à l'hameçon. Le narrateur et
lui entament une partie. Mirko Czentovic les aperçoit et accepte, moyennant
250 dollars, de jouer en simultané contre les deux hommes.
En vingt-quatre coups, ils sont mat !
Pourquoi pas une revanche ?
Au moment où ils vont être à nouveau battus, le narrateur
et McConnor sont sauvés de la défaite par les conseils d'un homme
énigmatique : M. B.
Doté d'empathie et de curiosité, le narrateur reçoit,
un peu plus tard, les confidences de M. B. Celui-ci lui raconte comment, à
l'hôtel Metropol siège de la gestapo en Autriche, il a été
torturé avec raffinement par les nazis. Soumis à un isolement
total – plongé dans "un néant absolu" –, il a
été coupé du monde, sans livre, sans crayon, sans aucun
autre décor "qu'une porte, un lit, un fauteuil, un lavabo et
une fenêtre grillagée."
Pourtant, un jour, il vole un livre à ses tortionnaires. A défaut
de Goethe ou d'Homère, c'est un manuel d'échecs avec cent cinquante
parties de maîtres. Au bord de la folie, il se fabrique un échiquier
de fortune à l'aide de son couvre-lit et de figurines en mie de pain
et rejoue mentalement les parties du manuel.
Ainsi, par ce subterfuge, se sauve-t-il de "l'horrible néant
qui l'entourait."
Et le voilà, après bien des hasards, confronté quelque
part au milieu de l'océan au champion du monde d'échecs Mirko
Czentovic pour une ultime partie.
Ce sera le point d'orgue de la nouvelle.
Sur un plan narratif, Stefan Zweig utilise avec efficacité l'emboîtement
d'histoires à l'intérieur de l'histoire en général,
comme pour Amok ou Vingt-quatre heures de la vie d'une femme,
et comme l'a déjà si bien fait avant lui Boccace.
Sous un signe échiquéen, cette ultime nouvelle écrite
à Petrópolis est allégorique du monde de 1941 traversé
d'enjeux stratégiques et cruciaux. En filigrane, filtre chez l'auteur
une inextinguible douleur face au travail de sape de l'appareil nazi à
l'encontre de la vieille Europe. Stefan Zweig est déchiré par
un sentiment de solitude mortifère (la solitude de M. B) – sans doute
lié pour une part à sa personnalité – et qui l'entraînera
vers le suicide.
Le joueur d'échecs est une fable troublante qui n'est pas sans
rappeler l'échiquier de notre monde contemporain.
Stefan Zweig nous offre à lire une très envoûtante histoire.
Patrick Ottaviani
(29/07/13)
Extrait du roman :
Sur le gros paquebot qui, à minuit, devait quitter New York pour Buenos
Aires, c'était l'habituelle effervescence de la dernière heure.
Ceux qui restaient à terre se bousculaient pour escorter leurs amis,
de petits télégraphistes, la casquette de guingois, passaient
en trombe dans les salons en appelant des noms, des porteurs ahanaient sous
le poids de valises ou d'énormes bouquets, des enfants curieux gambadaient
dans les escaliers tandis que sur le pont, l'orchestre imperturbable accompagnait
le show. Un peu à l'écart de cette cohue, j'étais en train
de parler à une connaissance sur le pont-promenade quand deux ou trois
flashs crépitèrent près de nous : apparemment, des reporters
avaient réussi à interviewer et à photographier quelque
célébrité juste avant le départ. Mon ami regarda
dans leur direction, et sourit. "Vous avez à bord un oiseau rare,
le fameux Czentovic." Il dut voir sur mon visage que cela ne me disait
rien, car il ajouta : "Mirko Czentovic, le champion du monde d'échecs.
Il vient de parcourir toute l'Amérique d'est en ouest pour participer
à des tournois, et le voilà qui part récolter d'autres
triomphes en Argentine."
Le joueur d'échecs
Traduction : Diane Meur, éditions Garnier-Flammarion, 2013.
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Pour mémoire

Stefan ZWEIG
(1881-1942)




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