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Gallimard

(Septembre 2021)
288 pages - 24 €

Antonio TABUCCHI
(1943-2012)

Récits
avec figures


Ce recueil, publié en Italie avant le décès d’Antonio Tabucchi, réunit trente récits écrits tout au long de sa vie. Tous sont introduits par des œuvres d’art qui ont inspiré ces textes. Il s’agit de photos, dessins, peintures ou cartes postales que l’éditeur a eu la bonne idée de reproduire ici. A leur lecture, on a l’impression de voir Antonio Tabucchi en plein exercice de création ; comment chemine son imagination à partir d’une image, comment elle fait surgir un souvenir. Le format du récit laisse à l’auteur une totale liberté qui lui permet d’explorer une grande diversité de formes littéraires, souvent d’inspiration surréaliste ou absurde et faisant une large place au rêve éveillé et à l’inconscient. « Parce que les rêves ne sont pas tant ce qui arrive mais l’émotion que tu éprouves à vivre ce qui arrive. » Onirisme et hallucination sont présents dans ces récits comme dans le reste de son œuvre.

Antonio Tabucchi explore ici le lien entre l’art et la littérature à travers de courtes nouvelles, des essais, des formes poétiques.
Une peinture de José Barrias lui inspire « Soir de pluie sur une digue en Hollande ».  Un homme et une femme qui étaient mariés il y a plus de 20 ans se retrouvent par hasard dans une rétrospective du peintre qu’ils ont aimé ensemble. Ensemble ils ont visité Arles, Saint-Rémy, Auvers-sur-Oise en souvenir du peintre. Ils cherchent à savoir quel est le tableau de l’exposition que chacun a préféré. Elle répond « La sieste » parce que ce tableau lui rappelle la sieste qu’ils ont faite jadis ensemble en pleine nature. Dans leur dialogue, ils pinaillent sur les dates de leurs souvenirs. Mais elle se souvient de tout parce qu’elle a tenu un journal. « Comme la mémoire, les journaux intimes sont pleins de trous ». Lui, a gardé les photos, « toutes, et toute notre Provence ». La précision des souvenirs de leur voyage révèle à quel point ils se sont aimés et ont été liés. Mais c’est avec mélancolie qu’ils évoquent le passé, « un hommage au temps qui s’en est allé », « on traverse la vie presque sans s’en rendre compte, et puis on y repense ensuite, quand la vie est passée. »

Dans « Les héritiers remercient » il rend hommage à la peintre franco-portugaise Maria Helena Vieira Da Silva en écrivant un court texte pour chacune des couleurs de la peintre. « Et tandis qu’autour de lui éclatait la tempête, une tempête qui pesait dans l’atmosphère depuis plusieurs jours au point que l’air, le ciel, les nuages étaient devenus indigo, il quitta la véranda et se mit à danser comme un fou sous la pluie, il attrapa le violon il commença de jouer une musique tzigane, dansant et dansant, et il vit que ses jambes était devenues indigo elles aussi, de même que ses bras et ses mains, et  il dansait et jouait et se prenait pour un Paganini, un brin de lavande, un clown de Fellini, une aubergine, un dindon, un violoniste de Chagall. Car devenir indigo est une expérience incroyable. Mais réservée à peu de monde. »         

Des textes joyeux et d’autres plus sombres, ou plus étranges. Comme dans la nouvelle « Un curandeiro dans la ville sur l’eau » où la voix du répondeur téléphonique s’impatiente puis écoute attentivement et devient la voix de l’inconscient (curandeiro signifie guérisseur en portugais).
Après plusieurs essais, « il composa à nouveau le numéro. Cette fois-ci la voix dit d’un ton qui n’admettait aucune réplique : "Oh là, mais vous êtes vraiment un casse-couilles ! décidez-vous, vous voulez laisser un message ou non ?"  Il raccrocha. Sa chemise était trempée. Il pensa : "Impossible, c’est impossible." Il refit le numéro. "Bon dieu", dit la même voix, "sachez que la patience d’une machine a elle aussi ses limites, vous le laissez ou vous ne le laissez pas, ce satané message ?" »

Dans les « Portraits de Stevenson », Tabucchi constate la puissance de la transitivité de l’art (le langage d’un art qui transite vers le langage d’un autre art) à propos de l’œuvre graphique de Tullio Pericoli qui représente des paysages robinsoniens et l’univers narratif de Robert Louis Stevenson. Ces dessins, inspirés par la littérature, inspirent à nouveau ce très beau texte de Tabucchi.
Les dessins de Pericoli matérialisent l’oxygène qu’a apporté Stevenson à tous ceux qui l’ont aimé. Stevenson a grandi « à Édimbourg, ville de brouillards et de granits. Il était malade des poumons : il avait besoin d’oxygène dans son corps et dans son esprit. » « La force qui gonfla les voiles et les histoires du phtisique d’Édimbourg circule dans ces dessins : dans les paysages ouverts sur l’horizon, dans les tréfonds de l’océan qui se superposent au pavement […] dans les nuages et les vagues. C’est sa liberté d’être au monde, de penser, d’imaginer, d’écrire. Et, ici, de dessiner. […] le suffocant respire l’oxygène et écoute le vent. Le vent de Stevenson que Pericoli a réussi à capturer dans ces dessins. »
Un livre original et qui donne à penser.

Nadine Dutier 
(30/09/21)    




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Pour mémoire


















Antonio Tabucchi
(1943-2012)
écrivain et traducteur, né en Italie et mort à Lisbonne, a écrit une vingtaine de livres.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia




Traduit de l'italien par
Bernard Comment