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Jacques LUSSEYRAN

(1924-1971)



par Nadine Dutier


Une biographie de Jacques Lusseyran a  été publiée par Jérôme Garcin qui a été ébloui par sa vie. Mais  plutôt que de lire Garcin, j’ai lu Lusseyran qui a écrit deux livres bouleversants :  Et la lumière fut et Le monde commence aujourd‘hui. Ces livres sont bouleversants à plusieurs titres. D’abord dans sa façon de vivre et de parler de la cécité.

Jacques avait 8 ans quand il a perdu la vue mais il a toujours continué à voir  par un phénomène prodigieux que je ne peux pas réduire au sens des masses que beaucoup d’aveugles qui ont perdu la vue dans l’enfance développent, même si parfois cela y fait penser. Il voit par tous ses sens réunis et son intelligence conjuguée à son intuition. Ses perceptions des êtres et des choses se traduisent par des images mentales d’une précision et d’une justesse étonnantes. Il sait à quel moment un point de  vue sera dégagé dans un chemin de montagne, il sait quand une personne est sincère ou qu’il s’agit d’un espion.

Bouleversants aussi par son engagement dans la Résistance et par sa survie dans un camp où il aurait dû mourir mille fois. Encore lycéen en 1941, il crée avec ses condisciples un journal de résistance, Le Tigre. Puis il  rejoint le mouvement "Défense de la France" et devient responsable de la diffusion du journal (jusqu’à 300 000 exemplaires). En juillet 1943, il est arrêté et déporté à Buchenwald en janvier 44. Il y est enfermé dans le bloc des Invalides avec les vieillards et les fous. On lui vole son pain, sa soupe, mais certains le protègent ; c’est un ouvrier russe, puis un voleur un peu fou.

Il  ne juge pas les êtres rejetés par la société mais les accueille avec confiance. Il garde un optimisme inébranlable, ne perd jamais espoir et aide ses compagnons à survivre. Bien sûr il est habité par la foi, mais son comportement est un exemple d’humanité à la portée des plus athées.

Quant à son style, son écriture est aussi limpide que sa pensée. Parlant de l’année 1938, alors qu’il n’a que 13 ans, il dit : « je n’étais plus un enfant, mon corps me le disait. Mais toutes les choses que j’avais aimées quand j’étais un gosse, je les aimais encore. Ce qui m’attirait et me terrifiait à la fois dans la radio allemande, c’est qu’elle était en train de détruire mon enfance. Les ténèbres extérieures, c’était elle. »

Détenu à Fresnes en 1943, « le soir venu, ce n’était pas la peur qui tapait contre les murs de nos cellules, à petits coups précis, pour la transmission des messages d’un détenu à l’autre. Ce n’était pas la peur non plus qui nous faisait desceller lentement un carreau de la fenêtre et hurler à travers l’ouverture des mots d’ordre d’étage à étage. Rien ne pouvait nous retenir, ni la menace du cachot, ni celle des coups qu’on y recevait. Au bout de quelques heures, j’avais découvert qu’il n’était pas tellement difficile d’être courageux quand tant d’hommes l’étaient si près de vous, qu’il suffisait d’un petit bondissement de plus et de bien diriger le jet de l’imagination.
Sept mille hommes en travail de patience, en travail d’espérance, en désir de liberté, de vie et de patrie retrouvée, cela vous fait une seconde âme et un second corps, et les vôtres n’ont plus qu’à se nicher dedans. »

Le monde commence aujourd’hui, écrit en 1958 en Virginie où il enseigne la littérature française, évoque sa passion d’enseigner et les personnages qu’il a croisés à Buchenwald.

Lisez Lusseyran, c’est « une leçon de résilience et un chant d’amour à la vie ».

Nadine Dutier 
(17/11/15)    




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288 pages - 11,90 €

Préface de
Jacqueline Pardon
















Éditions Silène

128 pages - 16 €