La lumière pâle du bref jour sans soleil commençait à décliner, quand un hurlement assourdi par la distance s’éleva dans l’air immobile. Il surgit et monta vif comme l’éclair, s’infléchit avant d’atteindre sa note la plus aigüe, qu’il maintint, palpitante et tendue, avant de s’éteindre peu à peu. On aurait cru le gémissement de quelque âme égarée, s’il ne s’y était mêlé une certaine férocité triste, quelque chose d’affamé et d’avide.

Si comme moi, vous n’avez encore jamais lu Croc-Blanc,  trop d’injonctions : tu devrais lire ça, trop d’extraits scolaires qui donnent l’impression, avec la facilité de la version cinématographique, de l’avoir déjà lu,  profitez de cette réédition dans une nouvelle traduction et vous « dévorerez » les tribulations de ce trois quarts de loup et un quart de chien ! Elles commencent par le dur apprentissage de la survie dans la forêt du Grand Nord, auprès de sa mère louve. […] Il était aussi le plus féroce de la portée. Il grognait plus fort que tous les autres. Ses petites rages étaient bien plus terribles que les leurs. C’est lui, qui le premier, apprit à culbuter les louveteaux d’un coup de patte bien senti. Lui, qui le premier, saisit les louveteaux par l’oreille et les tirailla, les secoua, grognant entre ses mâchoires serrées. Et assurément lui qui donna le plus de mal à sa mère pour maintenir la portée à bonne distance de l’entrée de la grotte.

On oublie très vite que le récit est à la troisième personne. La proximité avec l’animal sauvage et ses instincts est tellement grande qu’on a l’impression d’être dans la caboche du chien-loup.  Il va ensuite vivre dans un campement indien et être le chien de traîneau de Castor-Gris qui va le baptiser. Il est clair que Kichë est sa mère. Mais son père était un loup. C’est pourquoi il y a peu de chien en lui et beaucoup de loup. Ses crocs sont blancs, il s’appellera Croc-Blanc.
Puis, vendu, il se retrouve chien de combat sous la férule d’un homme blanc, veule et cruel, Beauty Smith.  Sous la tutelle du dieu-fou, Croc-Blanc devint un monstre.[…] Il faisait formidablement peur. Au moins deux mètres de long, un mètre au garrot, et son poids dépassait largement celui des loups de même taille. […] il pesait, sans la moindre graisse ni chair superflue, une quarantaine de kilos. Il était tout en muscles, os et nerfs – un chien de combat au sommet de sa forme.

À la fin de la quatrième  partie du roman, Croc-Blanc, quasiment mourant après un combat de trop, sera sauvé par le « dieu-Amour », son dernier maître. Avec lui, il ira jusqu’en Californie, la cinquième partie du roman nommée : l’apprivoisement. Il parla à croc-Blanc comme personne ne lui avait jamais parlé. D’une voix douce et apaisante, avec une gentillesse qui curieusement, étonnamment, touchait Croc-Blanc. [...] Il commençait à faire confiance à ce dieu-là. Il éprouvait un sentiment de sécurité, jusque- là démenti par toute son expérience des hommes.

Les aventures de Croc-Blanc sont terribles de sauvagerie et de violences. Dès l’ouverture du roman, le ton est donné. Dans un paysage glacial et sinistre, deux trappeurs, payés pour rapporter à Fort Mc Gurry,  pour qu’il y soit enterré, le corps d’un jeune homme de bonne famille parti tenter l’aventure, luttent pour leur survie. Ils sont poursuivis, eux et le cercueil que des chiens tirent sur un traîneau, par une bande de loups affamés. Chaque nuit, les loups, qui pourtant craignent le feu, s’approchent de plus en plus et chaque matin, un des chiens a disparu…

C’était l’incommunicable et magistrale sagesse de l’éternité riant de la futilité de la vie et de son effort. C’était la Nature inexplorée, sauvage, la Nature au cœur glacé des territoires du Nord.

Sylvie Lansade 
(09/12/16)