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Louis-René
des Forêts

(1918-2000)

Écrivain secret et rare, peintre méconnu et onirique, il publie peu et montre ses peintures et dessins avec parcimonie. Homme du retrait et du silence, Louis-René des Forêts se livre peu dans les deux états de la création. Il ne cesse de mettre en doute l’écriture, la capacité des mots à témoigner de l’expérience humaine jusqu’au tréfonds de l’âme. Il lui faut signifier l’au-delà et l’en deça des sentiments, des pensées, des émotions. Il lui faut « exprimer par une concentration de plus en plus grande des éléments rythmiques la pulsation intérieure, la scansion de l’être ». L’activité graphique mêle l’observation des êtres et des choses, des figures et des lieux, aux sollicitations et fantaisies de l’imagination convoquant la culture romanesque et/ou musicale. Parfois, le même dessin réunit les deux registres distincts.

Il rêve d’être marin et se passionne pour la musique
Louis-René Pineau des Forêts naît à Paris le 28 janvier 1918. Il est le troisième enfant d’Armand-René Pineau des Forêts et d’Edmée du Petit-Thouars (l’ont précédé Gérard, né en 1914, et Nicole, née en 1915). Les De Petit-Thouars comptent des ascendants dans la noblesse poitevine qui se sont illustrés dans la Marine. Son enfance se partage entre la capitale et le Berry familial. Pensionnaire au collège Saint Charles de Saint-Brieuc qui prépare à l’école navale, il découvre Baudelaire, Goethe, Joyce, Pascal, Rimbaud, Shakespeare et Verlaine en cachette parce que les pères marianistes ne prisent pas beaucoup la littérature. L’élève rêve d’être marin, mais de retour à Paris, quelques années avant la Seconde Guerre mondiale, il choisit la voie du droit et des sciences politiques (section « diplomatique »). À cette époque, il se plaît à rédiger des chroniques musicales dont la pertinence séduit mélomanes et compositeurs. Il se lie d’amitié avec Patrice de La Tour du Pin et Jean de Frotté (qui sera fusillé par les nazis en 1945, à l’âge de 25 ans). Mobilisé à la déclaration de la guerre en 1939, il interrompt une formation musicale qu’il regretta souvent de n’avoir pas prolongée, affectant une certaine prédilection pour l’opéra et le chant. Son père meurt en 1940, quatre ans après sa mère. Officier de réserve en 1941, il se retire à la campagne et entre dans la Résistance en intégrant le réseau belge Comète. Il rencontre cette année-là André Frénaud et Raymond Queneau. En 1943, il publie son premier livre, « Les Mendiants », chez Gallimard. Georges Bataille, Michel Leiris et Maurice Blanchot saluent « Le Bavard » en 1946. Conseiller littéraire aux éditions Robert Laffont en 1945, il quitte Paris l’année suivante et s’installe aux Pluyes, en Berry, avec sa femme, Janine Carré, résistante comme lui au groupe clandestin Comète. Il revient dans la capitale en 1953 où les éditions Gallimard lui proposent de collaborer à l’Encyclopédie de la Pléiade, dirigée par Raymond Queneau. En 1954, l’écrivain s’engage politiquement par la création du Comité contre la guerre d’Algérie, un acte suivi en 1960 de la signature du « Manifeste des 121 » pensé puis rédigé par ses amis Dionys Mascolo et Maurice Blanchot. En septembre 1960, son troisième livre est un recueil de nouvelles intitulé « La Chambre des enfants ». La mort accidentelle de sa fille, en juin 1965, lors d’une baignade à Venise est l’événement le plus douloureux de sa vie : Élisabeth avait 14 ans. Il cessera de publier durant plus de vingt ans.

Une œuvre singulière et baroque
Cofondateur de la revue « L’Éphémère » (1965), il y côtoie Michel Leiris, André du Bouchet, Yves Bonnefoy, Paul Celan, Jacques Dupin et Gaëtan Picon. Il intègre le comité de lecture de Gallimard en 1966 où il siègera jusqu’en 1983. Long poème d’inspiration musicale, « Les Mégères de la mer » paraît au Mercure de France en 1967. Durant toute cette période (de 1968 à 1974), il se consacre au dessin et à la peinture et expose à plusieurs reprises au château d’Ancy-le-Franc en Bourgogne et au Centre Pompidou de Paris (sous le parrainage éclairé de Pierre Bettencourt et de Pierre Klossowski). Crayons, encres de Chine, crayons de couleur, gouaches, feutres et découpages se conforment principalement à un univers singulier et baroque, lesté de secrets, d’intrigues et de fantasmes. Éditée par François-Marie Deyrolle (L’Atelier contemporain), une monographie rassemble pour la première fois en 2021 l’ensemble de ces peintures et dessins. Parmi les contributeurs de l’ouvrage, le critique et universitaire Pierre Vilar indique : « On notera grâce aux archives mises en ordre par ses proches l’émergence du dessin, chez Des Forêts, au moment de l’adolescence, et dans le contexte précis de l’oppression éducative, au collège Saint Charles notamment. » À quatorze-quinze ans, le jeune des Forêts a sans conteste un bon coup de crayon, estime Bernard Vouilloux, professeur de littérature française à la Sorbonne : « Le trait est rude, mais jamais grossier, il est vif et enlevé, habile à planter ou suggérer les décors, à identifier des situations, à camper des caractères, à restituer les expressions et les attitudes, à saisir les corps en mouvement. » De son côté, le poète et essayiste Nicolas Pesquès répond assez précisément à la question qu’il pose : « Que dessine-t-il donc ? Souvent des scènes complexes, plutôt littéraires mais comme transcrites de songes autant que de lectures, de rêveries tourmentées mais dont tout le tourment ne se réalise que sous la forme de drames étranges et non d’évocations directes ; drames abondamment peuplés comme dans certains tableaux de la peinture ancienne où plusieurs histoires peuvent coexister ».
Quand il entreprend à partir de 1975 « Légendes » qui deviendra « Ostinato » (1997), il remise définitivement crayons et pinceaux. Les premiers linéaments de cette œuvre ultime et testamentaire apparaissent dès janvier 1984 dans la revue de la NRF. Lamento bouleversant, « Ostinato » - en musique « ostinato » désigne le « maintien d’une formule rythmique pendant tout ou partie d’une œuvre » - célèbre la conspiration d’une extraordinaire prodigalité lyrique et de la plus pénétrante concision. Nombreux auront été ses commentateurs les plus lucides, parmi lesquels Marc Comina, Florence Delay, Edmond Jabès, Roger Laporte, Maurice Nadeau, Bernard Pingaud, Jean-Benoît Puech et Jean Roudault. Louis-René des Forêts est mort samedi 30 décembre 2000 à Paris des suites d’une pneumonie, à l’âge de quatre-vingt-deux ans.

Claude Darras 
(08/04/22)    
Cet article est extrait des Papiers collés N°41 de Claude Darras




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Pour mémoire















Œuvres complètes
Gallimard

Collection Quarto
(Mai 2015)
1344 pages - 28 €

Présentation de
Dominique Rabaté













La terre tourne
et la flamme vacille

Peintures & dessins de
Louis-René des Forêts L’Atelier contemporain

(Septembre 2021)
256 pages - 30 €

édition établie par Guillaume des Forêts (fils de l’écrivain) et Dominique Rabaté (critique et universitaire), avec les contributions de Pierre Bettencourt, Pierre Klossowski, Nicolas Pesquès, Dominique Rabaté, Pierre Vilar et Bernard Vouilloux .