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Mikhaïl BOULGAKOV



Le roman de
monsieur de Molière





Quoi de commun entre Mikhaïl Boulgakov et l’auteur du Malade imaginaire ? Un amour inconditionnel pour le théâtre. Le second, comme chacun sait, mourra sur les planches ; le premier, moins chanceux et victime de la parano stalinienne, devra se contenter d’obscurs emplois au Théâtre d’Art de Moscou et au Bolchoï.

Qu’un Russe écrive sur un Français, rien d’étonnant à cela : depuis le XVIIIe siècle, la plupart des intellectuels russes sont francophiles. Il suffit d’ouvrir un roman de Tolstoï ou une nouvelle de Gogol pour y trouver, çà et là, quelques mots de français. Encore aujourd’hui, il n’est pas rare de rencontrer un moscovite ou un petersbourgeois capable de s’exprimer dans la langue de Molière, parce que la France jouit encore là-bas de cette aura de légèreté et de savoir-vivre, qu’il serait bien temps que nous retrouvions nous aussi…

C’est au plus fort de la glaciation stalinienne que Boulgakov écrit son Roman de monsieur de Molière. Hasard de l’Histoire, dira-t-on, mais pas seulement : on lira à ce sujet avec profit les pages concernant les relations difficiles de Molière avec le pouvoir et les censeurs. Boulgakov, avec son élégance habituelle, se garde bien de parler de lui, mais il suffit de lire entre les lignes pour comprendre qu’à travers son modèle se profile aussi la silhouette d’un auteur persécuté par la bureaucratie soviétique.

En fait, l’originalité de ce livre tient à cette rencontre entre deux « fortes têtes » : Boulgakov est biographe, mais à sa façon, tendre et ironique, jouant de tous les tons et nourrissant pour son sujet une empathie où le respect le dispute à l’amitié pure et simple. Les derniers chapitres, à ce sujet, nous montrent un Molière misanthrope, obsédé par la mort et qui, cependant, trouve encore dans son métier de quoi réjouir ses contemporains, comme Boulgakov, dans Le Maître et Marguerite, avait encore l’audace de se moquer d’un régime honni.

Sur un autre plan, cette biographie réjouira tous ceux qui s’intéressent au Paris du Grand Siècle, à l’histoire du théâtre, à la vie des comédiens. Avec Boulgakov, nous musardons à la nuit tombée dans le quartier des Halles et du Marais, nous assistons aux premières du sieur Jean-Baptiste Poquelin, lequel se retrouve la plupart du temps endetté, quand ce n’est pas le théâtre lui-même qui menace de crouler sur la tête des comédiens. Boulgakov n’ignore rien du quotidien de la troupe et s’il en rajoute parfois un peu, c’est sa propre passion du théâtre qu’il s’efforce de partager avec son lecteur. On est loin d’une biographie universitaire, bardée de notes ennuyeuses, et beaucoup plus près du fameux Molière d’Ariane Mnouchkine. L’argent, les histoires de famille, les maîtresses, l’écriture des pièces, tout se mêle dans une espèce de tourbillon moiré qui, non content de nous donner un formidable plaisir de lecture, nous incite à sortir de chez nous et à nous rendre au théâtre pour assister à une énième représentation du Malade imaginaire.

Molière ne se démode pas. Boulgakov non plus. C’est là le privilège des grands auteurs, fins connaisseurs du genre humain.

Pascal Hérault 
(08/02/06)    

Pour visiter le blog de Pascal Hérault : http://pascalherault.blogspot.com





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Pour mémoire






Mikhaïl Boulgakov
(1891-1940)



Plusieurs ouvrages ont paru dans diverses collections de poche






Quatre romans sont réunis dans la collection
Laffont/Bouquins
avec une imposante préface de 65 pages,
une chronologie
et des notes annexes.