Antoine Blondin


(1922-1991)




par Claude Chanaud



Né à Paris en 1922, le collégien Antoine Blondin, mauvais sujet du lycée Louis-le-Grand, fut excellent en classe de philosophie et devint dans la foulée un brillant lauréat du Concours Général. Cependant, il ne fit pas carrière dans les collèges de la République, ce terrain habituel aux gens pourvus d'une licence es lettres. Bien au contraire.

D'abord, il fut expédié en Allemagne en 1942 où, travailleur non volontaire, il vécut fort malheureux jusqu'à la libération, puis il revint à Paris, non pour se consacrer à un parcours classique de professeur mais aux seules fins de pratiquer l'école buissonnière. A la façon d'un des beaux-arts !

Quand il fut publié pour la première fois aux éditions de La Table Ronde (L'Europe buissonnière, Prix des Deux Magots en 1949), il connut très vite la notoriété. Pourtant, il affichait des idées à contre courant des tendances lourdes de cet après-guerre. Dans les faits, non seulement il apportait la nécessaire insolence du renouveau littéraire mais de plus, politiquement, il poussait le bouchon à l'extrême limite du jeu en laudateur inutile de Robert Brasillach et contempteur assez systématique du Général de Gaulle.

Ses convictions de jeune homme, situées à la droite de la droite, l'avaient poussé à réagir vis-à-vis d'une littérature engagée dans la mode stalinienne de l'époque, mais son goût naturel pour la "provoc" y trouvait indubitablement son compte.

Dans ce contexte, il rencontra des copains de route talentueux : Roger Nimier, Jacques Laurent, Michel Déon et quelques autres qui contestaient les engagements politiques de Louis Aragon et la philosophie de Jean- Paul Sartre. En 1953, Bernard Frank les baptisera les Hussards.

« Ils nous font passer pour des écrivains de droite pour faire croire qu'il existe des écrivains de gauche » ironisera Blondin.

Évidemment c'était faux, évidemment c'était polémique mais, tout en ne trompant personne, que la formule était drôle ! Quelques années plus tard... goût du paradoxe ou changement de cap... Antoine Blondin se liera d'amitié avec François Mitterrand qu'il accompagnera dans des meetings politiques et pour lequel il votera à plusieurs reprises. Il n'est pas pour autant installé à gauche car il ne fait que passer. Il est ailleurs et il y restera.

Conséquence qui va de soi, en le lisant attentivement, on ne succombe pas à une quelconque fascination concernant sa conception des affaires publiques mais on observe en permanence le refus des idéologies.

Ensuite et surtout, on est séduit par l'homme de plume. Débarrassé de ses prises de position politique, l'essentiel apparaît : ses textes, originaux sur le fond et à la fois sobres et brillants dans la forme, sont marqués du classicisme le plus exemplaire. A la fin des années quarante, un nouveau style vient donc d'apparaître, clair, concis, limpide et d'une grande élégance que la métaphore poétique, le pastiche, les jeux de mots et les citations littéraires truffent tour à tour de manière juvénile et primesautière.

Malgré une éclipse passagère au temps du Nouveau Roman, les qualités d'écriture d'Antoine Blondin n'ont pas cessé de séduire les amateurs de beau style ; toutefois, il faut mettre un bémol sur ses nouvelles qui sont inégales et que l'on place à juste titre en dessous des autres fictions.

Enfin, si effectivement l'œuvre ne se démode pas, elle ne doit rien à la quantité montrée du doigt par certains et plaisantée par lui dans Monsieur Jadis : « Je suis resté mince, mon œuvre aussi ». Dans l'ensemble, elle reflète une tristesse allègre dans une tradition de causticité et reste – désespérée mais gaie – un décapant efficace pour les idées reçues et les lieux communs. De plus, sa conjonction avec le clin d'œil intertextuel et le raccourci sulfureux échappe à toutes tentatives de récupération par une quelconque école si ce n'est pour une anthologie de l'humour.

« Après la seconde guerre mondiale, les trains recommencèrent à rouler. J'en profitais pour quitter ma femme et mes enfants. »

Voilà, le décor est planté. Tout est dit en vingt mots. Et, nous sommes accrochés pour deux cent cinquante pages à l'humeur d'un homme des années cinquante qui patauge dans les bons sentiments de la France profonde. C'est la magie d'une patte qui fait de lui un des plus grands écrivains de sa génération, dira plus tard Pierre Assouline (Le Flâneur de la rive gauche, Editions François Bourin).

Cependant la chute des masques et le décarpillage des hypocrisies ne furent pas ses uniques motivations car il sut aussi s'attendrir sur les pauvres gens et les asociaux. La solitude et la misère qui accompagnent et scandent la vie des défavorisés le rendent attentif et définitivement pessimiste. « L'indifférence, l'hôtel, l'hôpital, la prison... voilà les cases de notre jeu de l'oie. » D'évidence, voilà une facette compassionnelle qui est sans doute la moins connue de l'écrivain. On ne peut la passer sous silence.

A la convergence de cette totale liberté d'esprit et du refus des apparences, Blondin montrait donc qu'il avait le cœur sensible et ça n'était pas calcul de sa part. Cependant il mettait de la malice dans le refus des mensonges, des mises en scène opportunistes et des mondanités médiatiques. Sa permanente adolescence le préservera de ces dérapages au long d'une carrière qui connut le succès sans qu'il dérogeât le moins du monde à ses principes.

Je le cite pour mieux cerner ce frivole profond qualifié d'atypique par des critiques superficielles parce que la tête d'Antoine dépassa souvent du tiroir où elles l'avaient rangé : « Les bons auteurs partagent avec les décorations étrangères et les rognons de veau le privilège de se rehausser lorsqu'on les dispose en brochette. »

Mais, sur les photos de presse où il voisine par hasard avec quelques uns de ses commensaux, oncques il ne participa de cette présentation cuisinière car il ne servait pas plus dans l'intendance pour maison bourgeoise que dans la communication utile. Ce caractère exigeant avait des choix pudiques et cette vertu le rapprochait de Marcel Aymé pour lequel il avait une véritable vénération. Sans compter que l'œuvre de ce dernier partagea avec celle de Blondin la convergence infiniment rare du merveilleux avec le quotidien.

Il ne faut pas oublier pour autant ses autres amis qui se répartissaient très largement dans l'éventail des idées et dont certains, à l'occasion, partageaient ses neuvaines bretonnes. Des journalistes du Canard Enchaîné à ceux de l'Equipe, de Colette à Kleber Haedens, d'Albert Vidalie à Paul Guimard et de René Fallet jusqu'à Louis-Ferdinand Céline.

Comme eux, il n'hésitait à vitupérer les tartufes et comme eux il puisait ses héros dans le petit peuple, cette autre façon de compatir à la vie des obscurs. C'est ainsi qu'il faisait vivre des destins ordinaires qui donnaient une auréole au quotidien avec la grâce des cœurs purs. Benoît Laborie dans L'humeur vagabonde, Perrin, professeur d'Histoire dans Les enfants du Bon Dieu et Superniel de L'Europe buissonnière en sont l'illustration exemplaire. Mais Antoine Blondin qui, l'alcool en plus, peut se reconnaître chez les trois précédents, passa aussi facilement à l'épopée avec d'autres héros générateurs de feux d'artifice : les poètes, les sportifs et les cinéastes.

Les premiers – même s'il n'a pas écrit de poésie – il les pratique comme des voisins de palier. Ils ont en commun la passerelle des mots qui subliment. Et les sportifs, il les aime, surtout quand ils se dépassent dans des épopées méritant d'être chantées par les précédents. Mieux, il les accompagne au cours de vingt-huit Tours de France et de très nombreuses manifestions dont cinq Jeux Olympiques. Ses articles les concernant sont marqués de ses jeux de mots et de sa culture littéraire qui est vaste. D'essence homérique au col du Galibier, ils ont des accents shakespeariens après certains matchs du quinze de France et frôlent le dithyrambe lorsqu'il partage la troisième mi-temps des vainqueurs.

Et voilà des millions de lecteurs pour des milliers d'articles qui paraîtront un peu partout – revues, hebdo et quotidiens de tous bords – y compris le journal l'Humanité. Parfaitement documentés sur les performances – voire les prouesses – de ses contemporains, ces textes tiendront les spécialistes et les véritables sportifs en haleine durant plus de deux décennies. Mais les aficionados de comptoir ne s'abstiendront pas non plus de goûter les odyssées vélocipédiques à la manière d'Antoine et de colporter son dernier calembour.

Quand il écrit pour la grande presse il fait encore de la littérature. Ce qui fit dire à l'essayiste Alain Cresciucci (Antoine Blondin, écrivain, Bibliothèque contemporaine, Klincksieck) : « Blondin transforme en genre majeur ce qui, d'ordinaire, n'excède pas l'habileté du bien dire. » Rien d'étonnant après cela que l'écrivain canalise l'hommage des critiques les plus éminents, la fidélité des lecteurs les plus divers et l'attention de distingués académiciens dont certains pensèrent à lui pour un de leurs confortables fauteuils du Quai Conti et un habit vert. Mais loin de ces préoccupations et de ces éloges, notre homme, en pull-over et sans cravate, restait arrimé au bar de ses bistrots préférés.

En permanence dans sa vie, il y avait ses copains de frairie et dans sa pensée, Marcel Proust, Céline et Marcel Aymé, qu'il plaçait au top de la littérature. S'ajoutent à ce beau monde quelques auteurs de chevet tels que Stendhal, François Villon, Voltaire et Jules Renard, Arthur Rimbaud et Verlaine ainsi que son ami et complice Roger Nimier.

Ces maîtres es-écriture accompagnèrent ce bègue surdoué, lequel parlait mieux quand il avait bu et lisait facilement un livre par jour. S'il trouvait au fond des verres de quoi repousser ses fantômes, il est clair que l'alcool n'apporta rien de plus à son talent. Car, sans ce dernier, Antoine Blondin n'aurait eu que des gueules de bois mais pas d'éditeurs.

En fait, il buvait comme le Brûlebois de Marcel Aymé que la fréquentation des mastroquets du coin mène euphoriquement dans un ailleurs de transcendance, comme Fouquet et Quentin les deux héros de la picaresque aventure Un singe en hiver où l'amitié se décline au présent des boissons fortes. D'ailleurs dans ce roman, on peut parier que les deux personnages sont évidemment une partie de lui-même, bien avant que la vérité d'Antoine vieillissant ne se confonde avec la fiction sous les traits de Monsieur Jadis.

Mystère étonnant de l'œuvre littéraire qui cousine avec la biographie en lui volant sa substance ce qui fait penser à Joseph Kessel disant dans L'Homme de Plâtre : « La véritable biographie d'un écrivain, ce sont ses personnages. »

Hors les romans et les nouvelles, les textes éparpillés et de nombreuses préfaces, l'écrivain Blondin ne travailla qu'à une seule pièce de théâtre en collaboration avec Paul Guimard. C'était Un garçon d'honneur.

Néanmoins, il intervint une dizaine de fois pour le cinéma en tant que co-scénariste ou dialoguiste. Hélas, comme pour cet autre plumitif doué qu'il baptisa "Notre Fallet" dans Ma vie entre les lignes, aucune œuvre inoubliable n'est sortie de ses coopérations pour le grand écran. En revanche, partant de son roman Un singe en hiver, Henri Verneuil saura réaliser avec Jean Gabin et Belmondo un excellent film qui n'a pas trahi son auteur.

Mon témoignage concernant Antoine Blondin s'arrêtera là pour faire place à d'autres plumes vagabondes. Il n'a pas prétention d'exhaustivité mais le simple désir de vous le remettre en mémoire ou de vous recommander sa découverte si, par malchance, vos lectures l'avaient ignoré. En synthèse, je ne chercherai pas à vous dire s'il faut fouiller chez Baudelaire, analyser chez Stendhal ou triturer la pensée d'André Breton pour définir les sources de l'inspiration blondaine et les tendances sous-jacentes de son œuvre. Je laisse ce soin aux exégèses professionnelles, mais je vous le confirme, en 2003, on se plonge et on se replonge avec bonheur dans sa littérature amplifiée par l'amitié et dans la pureté de sa langue.

Ce bonheur, à la portée de toutes les bourses grâce au Livre de Poche, vous transportera dans l'univers d'un Grand pour lequel l'adjonction d'un épithète serait réducteur. Et vous y découvrirez au-delà d'un humour désespéré, une promesse de poète : « Un jour, nous prendrons des trains qui partent. »




Retour
sommaire
Pour mémoire






Quelques titres :

L'Europe buissonnière
La Table Ronde, 1949
Prix des Deux Magots

Les enfants du bon dieu La Table Ronde, 1952

L'humeur vagabonde
La Table Ronde, 1955

Un singe en hiver
La Table Ronde, 1959
Prix interallié

Monsieur Jadis
La Table Ronde, 1970

Certificat d'études
La Table Ronde, 1977

Sur le Tour de France
Mazarine, 1979

Ma vie entre des lignes
La Table Ronde, 1982

L'ironie du sport
François Bourin, 1988