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Anaïs NIN

(1903-1977)


Le journal d’une romancière

Faut-il ranger sur le même plan son volumineux journal (250 000 pages manuscrites) d’une part, ses romans, nouvelles, poésies et essais d’autre part ? Je le croirais assez en raison de l’imagination et de la fantaisie qui décuplent la force expressive de ses textes issus de l’un et de l’autre encrier. Certes, lorsqu’on lui demandait ce qu’était pour elle la littérature, Anaïs Nin (Neuilly-sur-Seine, 21 février 1903-Los Angeles, 14 janvier 1977) expliquait qu’elle écrivait « pour créer un monde dans lequel elle puisse vivre ». Pourtant, à plusieurs reprises, elle souligna que ses romans n’étaient que « l’affleurement partiel de cette entreprise autrement redoutable et considérable : le Journal ». C’est à onze ans à Barcelone, le 25 juillet 1914 précisément, qu’elle inaugure le premier des innombrables cahiers qui composent cette autobiographie protéiforme (1914-1974). À ce moment-là, son père, Joaquin Nin, pianiste et compositeur cubain, vient d’abandonner sa femme, Rosa Culmell, chanteuse d’ascendance franco-danoise, et leurs trois enfants (Anaïs et ses deux frères, Thorvald et Joaquin). Privée de son chef, la famille embarque pour New York depuis la capitale catalane où elle vivait jusqu’alors chez les parents du déserteur. Écrit entièrement en français, le journal d’enfance s’interrompt le 9 juillet 1920 ; les jours suivants la diariste opte définitivement pour la langue anglaise. « Mon journal connaît ma maîtresse, mes compagnes et mes compagnons de classe, mes amis et ennemis et l’école où je vais, écrit-elle. Il me connaît, il connaît mon âme et mes goûts, mes défauts et mes qualités, mes joies et mes douleurs. » Très tôt, elle se dédouble dans ses confidences en une Miss Nin, personnage public loué pour ses aptitudes épistolaires, et une Miss Linotte, face secrète et cachée d’une personnalité moins avouable. Confession de soi à soi, descente labyrinthique, le journal, expurgé, est partiellement publié en 1966 seulement : vétilleuse et dubitative, elle ne cesse de le revoir et de le corriger.
Échelonnée de 1946 à 1961, la publication d’un cycle de cinq romans réunis sous le titre « Les Cités intérieures » lui permet de se projeter dans la fiction, notamment à travers Djuna, Lillian et Sabina. Des personnages réels se dissimulent à peine derrière elles ; Djuna peut être June Miller (la seconde épouse de l’écrivain Henry Miller) à moins qu’il ne s’agisse de Djuna Barnes (romancière et dramaturge américaine). Certains essais veulent être de véritables exercices d’admiration pour la femme de lettres allemande Lou Andréas-Salomé et l’actrice américaine Romaine Brooks. Proche d’Antonin Artaud et de Lawrence Durrell, elle côtoie à Paris et à New York les artistes Constantin Brancusi, Brassaï et Marcel Duchamp, ainsi que les poètes Robert Duncan, Paul Éluard, James Joyce et James Merrill, les écrivains Waldo Frank, Gore Vidal et Edmund Wilson. Elle se dit impressionnée par le compositeur Edgard Varèse et les littérateurs André Breton, Aldous Huxley et David Herbert Lawrence à qui elle consacrera un essai peu après la mort de l’écrivain britannique, « D. H. Lawrence : une étude non professionnelle » (1932). Quant à ses nouvelles, outre « Un hiver d’artifice » (3 nouvelles, 1945), elle en confine la majeure partie dans « La Cloche de verre », un recueil de 13 nouvelles publié en 1944.
Entre Bruxelles et Arcachon, New York et Paris, entre ses maris Hugo Parker Guiler (banquier) et Rupert Pole (acteur devenu garde forestier puis professeur de sciences) - elle devient bigame avec le second, entre ses amants René Allendy (ami des surréalistes, fondateur de la Société française de psychanalyse), John Erskine (professeur de littérature et romancier), Henry Miller (qu’elle rencontre à Louveciennes en 1931), Isamu Noguchi (sculpteur et designer japonais), Otto Rank (psychanalyste, disciple dissident de Freud) et son père Joaquin Nin (avec qui elle entretint des relations incestueuses enfant et adulte), elle se raconte au travers du journal intime comme de ses récits fictionnels. Si elle expose sa nudité en posant pour des peintres, si elle s’enflamme pour l’exercice de la danse flamenca, elle ne cache pas son penchant pour la psychanalyse, l’émancipation féminine, la monogamie et l’amour unique, et elle réclame de ses vœux un temps et un monde nouveaux où les tabous, les fantasmes et le puritanisme auront disparu. « L’érotisme, soutient-elle, est l’une des bases de la connaissance de soi, aussi indispensable que la poésie. »
 « En 1973, remarque Sophie Taam, elle est élue membre de l’Académie américaine des lettres et des arts à New York, joli clin d’œil à la petite fille qui, dans son Journal, signait : Anaïs Nin, membre de l’Académie française. » L’écrivaine américaine meurt d’un cancer en 1977 à Los Angeles. Ses cendres sont dispersées dans les eaux de l’océan Pacifique au-dessus de la baie de Santa Monica : envers et contre tout, elle est parvenue à accomplir le destin qu’elle s’était choisi : celui de catalyser sa propre sa vie en une œuvre intellectuelle.

Claude Darras 
(03/08/17)    
Cet article est extrait des Papiers collés N°20 de Claude Darras

  • Anaïs Nin - Genèse et jeunesse, par Sophie Taam, éditions du Chèvre-feuille étoilée, 160 pages, 2014.

Lectures complémentaires :

  • Cités intérieures : Les Miroirs dans le jardin, Les Enfants de l’albatros, Les Chambres du cœur, Une espionne dans la maison de l’amour, La Séduction du minotaure suivie de Collages, par Anaïs Nin, éditions Stock, 1997 et 1998 ;
  • Anaïs Nin, par Deirdre Bair, éditions Stock, 664 pages, 1996 ;
  • La Maison de l’inceste, par Anaïs Nin, éditions des Femmes, 92 pages, 1979.



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