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Karine TUIL

Kaddish pour un amour



Kaddish pour un amour c’est d’abord une musique, celle des prières dont on retrouve le rythme et certains versets.
C’est également une œuvre graphique ; des lettres hébraïques s’envolent comme des graines de fleurs poussées par le vent – est-ce le destin des mots de s’envoler au gré du vent ? Karine TUIL en donne une autre interprétation : selon la Kabbale, le monde a été créé avec des lettres et pour l’auteure, une histoire d’amour c’est la création d’un monde. (Interview sur France Inter du 22 décembre 2022 à écouter ici)
Le livre est introduit par un acrostiche dont les premières lettres de chaque ligne forment à la verticale les mots « Kaddish pour un amour » en hébreu.
Ou encore, enroulée comme la spirale d’une coquille d’escargot, une incantation en français et en hébreu.
Malgré ces sources d’inspiration, ces prières-poèmes sont un mélange intime de religieux et de profane, de tradition et de transgression des traditions.
Par exemple, pendant le deuil, la tradition stipule qu’il faut recouvrir les miroirs pour ne pas s’y mirer. Ici, la narratrice les recouvre « des draps où nous nous sommes aimés ».
Pour Karine TUIL, « l’amour est la transgression suprême. »

Même si ces poèmes sont portés par un style lyrique, l’amour dont il est question n’a rien de romantique. Il s’agit plutôt d’un affrontement guerrier, sombre, douloureux. Un amour impossible dont la dualité est irréconciliable. Des mots tranchants disent de quoi est fait cet amour dans le poème « ensemble/séparés » ; couteau, missile, arme, griffure, coup, blessure. Mais au revers de cette brutalité il y a « la douceur, la délicatesse ».
Ou dans « deux fois ton nom » ; « Car Tu es double/ Il y a le sage et le fou/ Le doux et le cruel/ Lequel es-Tu/ Quand Tu me dis : me voici »
Encore cette dualité dans ces vers « Je suis la présence/ Toi la disparition ».
Et cette liste si négative dans « Il n’y a pas d’autre amour » ; « Noie-moi/ Dans l’eau trouble/ de Ton Amour/ Cruel/ Vindicatif/ Toxique/ Hostile/ Agressif/ Punitif/ Répulsif/ Désincarné/ Coercitif/ Corrosif/ Dépréciatif/ Vengeur/ Il n’y a pas d’autre amour »
« En amour tout est mensonge » dit l’auteure « car un serment n’est vrai qu’au moment où il est formulé ». L’inconstance des sentiments a quelque chose de terrifiant.
« La vérité ne se manifeste pas dans l’amour/ Elle change/ Ondoie/ Vacille/ Et se corrompt »
Il est question ailleurs de « parole trahie ». Et dans « La vallée des larmes » « J’avais envie de croire aux mythes ». C’est un amour de tous les dangers, mais c’est dans le danger qu’on se sent vivant.

Karine TUIL a été juriste, elle fait référence à la loi :
« Je Te quitte/ Je Te laisse/ Je Te répudie / Je T’abandonne/ Qui prononcera les mots de la séparation ? /Selon la Loi, c’est Toi »
Dans Annulation des promesses :
« Tu respecteras ce que tes lèvres exprimeront, dit la Loi/ Tu as trahi la parole/ Le vœu/ La promesse/ Le serment/ Dans le tribunal, j’attends que trois juges les annulent et disent :/
Vous êtes déliés/ Vous êtes pardonnés/ Vous êtes autorisés… »

Toutes les émotions traversent la narratrice, la colère, la peur, le besoin d’être aimée, protégée, le désir « Prends-moi/ Rends-moi impure/ Si je ne le suis pas/ Qui le sera ? »

Selon l’auteure, chaque lecteur et lectrice est libre d’interpréter ses poèmes à sa façon comme il est d’usage de le faire des textes saints. On peut y lire un remède pour se guérir d’un amour malfaisant. Il est dit « un homme qui ne savait pas aimer », ou encore « je peux vivre sans Toi ».
On peut aussi imaginer que le désamour, la déception s’adressent à un pays qui n’a pas accueilli son peuple comme espéré. « Nous sommes un peuple sans nom/ Nous sommes un peuple sans terre/ Nous recherchons un lieu où nous pourrons pleurer/ […] Nous sommes un peuple sans terre/ Sans avenir/ Sans enfants/ Un peuple sédentaire / Fixé a rien d’autre / Que cet amour/ Et nous restons/ Au lieu de fuir/ Allant et venant/ Dans l’opacité d’un rêve/ Qui ne se réalisera pas »

Dans ce long chemin de deuil, il y a un moment où on doit revenir à soi quand l’autre a déserté : « je veux être cet oiseau libre sur sa branche ».

Le style des poèmes, incantatoire à la façon des prières, donne une énergie, une vigueur au texte qui dit la souffrance, la déchirure, l’ambivalence. Parfois la fraîcheur, l’émotion devant un paysage fait diversion : « Il pleut sur Ein Gedi/ C’est la première fois/ Que je vois le désert humide/ La rosée du matin/ De simples gouttes/ Sur la mer Morte ».
 
Ce recueil de poèmes-prières est bien plus riche que cette chronique ne peut en rendre compte.  Chacun y trouvera le sens qui lui convient et sera sensible à la musique très particulière de ces textes.

Nadine Dutier 
(11/01/23)    



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Poésie







Karine  TUIL, Kaddish pour un amour
Gallimard

(Janvier 2023)
128 pages – 14 €

Version numérique
9,99 €











Karine Tuil
née en 1972, a déjà publié douze romans traduits
en plusieurs langues.

Bio-bibliographie sur
www.karinetuil.com










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Parution en Folio
le 2 février 2023