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Geneviève WINTER

Gérard Philipe


Gérard Philipe aurait cent ans cette année mais la vie en a décidé autrement. Il est mort à 37 ans au sommet d’une flamboyante carrière après une quarantaine de films et des rôles inoubliables au Festival d’Avignon, au TNP de Chaillot et sur des scènes du monde entier. Geneviève Winter retrace ici son parcours avec beaucoup de clarté, de précision et d’empathie. Une biographie passionnante autour d’un fascinant comédien et d’un homme engagé.

Un dossier central regroupe une vingtaine de photos qui retracent sa vie – avec son frère à cinq ans sur la Croisette à Cannes, avec sa mère, Minou, son épouse Anne et leurs enfants – et sa carrière, dans les costumes de ses grands rôles, avec ses partenaires (Edwige Feuillère, Maria Casarès, Georges Wilson, Philippe Noiret …) ou l’équipe du TNP au Festival d’Avignon.

Dix-sept chapitres titrés avec une citation et datés dans l’ordre chronologique nous permettent de comprendre comment s’est peu à peu façonnée cette passion pour le métier de comédien qui n’était pas un rêve d’enfant.

Ses parents étaient dissemblables mais peut-être complémentaires. Son père était un homme d’affaires, gérant d’hôtels de luxe sur la côte d’Azur. Sa mère avait un tempérament plus fantaisiste. Surnommée Minou, elle a introduit « subrepticement, dans ce milieu de notables grassois puis cannois, durs en affaires et peu sentimentaux, une note d'originalité, de grâce, de gaieté, un goût de la fête, du rire et des jeux. » Le père aurait voulu son fils avocat, Minou l’encourage à suivre son instinct.

Après son bac, il commence son droit mais les écoles et universités ferment pour cause de guerre. Avoir 18 ans en 1940, ce pourrait être monstrueux mais l’occupation de Paris amène sur la Côte d’Azur un grand nombre d’artistes, écrivains, gens du théâtre et du cinéma. Les occasions de rencontres vont se multiplier et Minou est très douée en ce domaine. Au Parc Palace de Cannes que dirige son mari, elle organise toutes de sortes de réceptions, intimes car elle a un don de tireuse de cartes, ou plus largement ouvertes.
Geneviève Winter rend à merveille l’atmosphère de tous les lieux et les époques qu’elle aborde au fil du livre. Elle cite de nombreux détails et anecdotes qui nous font partager le quotidien et la passion de Gérard Philipe : sa découverte des métiers du théâtre et du cinéma entre les casinos (qui sont aussi des lieux de spectacle vivant) et les studios de la Victorine installés près de Nice où il est introduit grâce à Marc Allégret (dont l’épouse a consulté Minou), les cours qu’il suit au Centre Artistique et Technique des Jeunes du Cinéma qui ouvre à Nice, son premier rôle au Casino de Cannes, les premières tournées, les rencontres avec des jeunes gens qui, comme lui, deviendront des artistes ou réalisateurs célèbres…

En 1942, les Allemands envahissent la zone sud et réquisitionnent les hôtels dont le Parc Palace. Toute la famille va monter à Paris. Le père, toujours attiré par l’extrême droite, choisit de collaborer avec l’ennemi et, entre autres magouilles, trouve un hôtel à diriger, rue de Paradis. Gérard, lui, obtient un rôle au théâtre de Jacques Hébertot pour interpréter un ange dans Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux. Il surprend, il fascine, on le remarque. La pièce est jouée plus de deux cents fois en moins d’un an.

En août 1944, Gérard participe activement à la libération de Paris alors que son père, après la guerre, prendra le chemin de l’Espagne où Franco se montre accueillant avec les réfugiés du nazisme et du fascisme. Dans l’autre sens, des Espagnols ont pris la route de l’exil vers la France comme Maria Casarès en 1936.

Ensuite, le parcours de Gérard Philipe se poursuit, d’expériences cinématographiques en aventures théâtrales, au fil de rencontres, d’enthousiasmes, de refus, de changements d’avis, comme avec Jean Vilar. Leur premier rendez-vous n’a pas été très positif mais Gérard Philipe a su revenir sur son refus et se lancer dans la folie de la création du  Festival d’Avignon et du Théâtre National Populaire à Chaillot.

Geneviève Winter nous fait partager cette carrière paradoxale, entre Fanfan la Tulipe et Le Cid, entre les studios et la scène, le théâtre contemporain qu’il soutient et les grands classiques, entre la fortune gagnée sur les écrans et la vie quasi monacale de la troupe de Chaillot qui peine toujours à boucler ses budgets.

Et puis, il y a le Gérard Philipe intime, la rencontre avec Anne, la naissance des deux enfants, le partage compliqué entre vie familiale et vie professionnelle, sans oublier le militantisme du comédien engagé, président d’un syndicat d’acteurs et défenseur de la paix avec Yves Montant, Simone Signoret et tant d’autres...

Une existence follement riche qu’un cancer vient terrasser en peu de temps, quelques jours avant son trente-septième anniversaire.

Le dernier chapitre s’interroge sur l’héritage du comédien. « Que reste-t-il d’un grand acteur dont le talent et l’aura ont magnifié un art d’exécution servi avec passion ? » Une quarantaine  de films en quinze ans dont plusieurs chefs-d’œuvre devenus des classiques du cinéma, des captations de pièces sur scène, des enregistrements sonores y compris pour les enfants comme Pierre et le loup ou Le petit prince, des témoignages dans les livres de ceux qui l’ont connu et de grandes aventures comme le Festival d’Avignon ou le TNP qui n’auraient peut-être pas survécu aux difficultés des premières années sans la participation généreuse et fidèle d’un comédien devenu une star dans les années cinquante.

Le livre de Geneviève Winter est aussi vivant que passionnant et nous plonge avec un grand talent dans l’univers d’un artiste mythique, dans l’époque et les lieux qu’il a traversés, et toutes les rencontres qui ont nourri son parcours et qu’on a un grand plaisir à retrouver. Un bel hommage à un grand acteur.

Serge Cabrol 
(28/11/22)    



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Folio biographies

(Novembre 2022)
368 pages - 9,49 €

Avec un dossier central regroupant une vingtaine de photos.














Geneviève Winter,
agrégée de lettres classiques, Présidente de l’Alliance Français de Nice, a consacré de nombreux ouvrages à des sujets littéraires.
















Gérard Philipe
(1922-1959)