Retour à l'accueil du site
Retour Sommaire Nouvelles





Marc VILLARD


Raser les murs


Ces neuf nouvelles de dix à trente pages, toujours narrées à la troisième personne mais entrecoupées de courts et nombreux dialogues, évoquent sur fond de misère, de règlements de comptes et de guerre, l’émigration, la prostitution, les sans-logis, l’alcoolisme, l’appât du gain et le racisme de certains mais aussi la solidarité des autres. Majoritairement, c’est Paris qui leur sert de décor mais l’un des récits se déroule en Alsace en lien avec une communauté asiatique (Kebab Palace), un autre à Nice (Winter room), un autre en Arizona dans une réserve Navajo (Le canyon de Chelly) et enfin le Voyage de Rosario, nous transporte à l’international, du Mexique à l’Indonésie à travers les USA, le Canada, l’Irlande, la Russie et la Biélorussie, l’Ouzbékistan, l’Inde, le Laos et le Vietnam. Le recueil s’ouvre sur l’histoire d’un réfugié syrien (Le Brady) pour se refermer sur un autre dansune longue nouvelle en neuf parties sur plus de trente pages ayant donné son titre au livre.
Si le jazz fait, avec l’introduction d’Art Pepper en personnage central un élément à part entière de Winter room, l’ensemble du recueil est sous-tendu par une bande-son alliant jazz, blues, chants indiens et émaillée de références à divers morceaux qui donnent une teinte personnelle au recueil. Raser les murs est aussi l’occasion dans cette nouvelle-titre et dans Kebab Palace de retrouver Cécile que les lecteurs qui suivent l’auteur ont déjà pu rencontrer dans Les Biffins.
Si toutes ces nouvelles appartiennent à l’univers du « noir » et que la violence physique y répond à la violence sociale, certains textes s’apparentent totalement à des polars en miniature. Ainsi Pigalle (la plus longue nouvelle du recueil avec Raser les murs) où le lecteur suit l’enquête policière menée sur un assassinat glauque et très mis en scène d’une strip-teaseuse retrouvée dans sa chambre avec un message énigmatique tracé au rouge à lèvres sur le miroir : « Une fois tous les dix ans, je parviens à le faire » suggérant la piste d’un tueur en série, reprend les codes du polar à l’ancienne avec ses clichés et un argot parisien devenu aujourd’hui folklorique et intemporel. De même, en version plus contemporaine, l’enlèvement d’un nourrisson à la crèche au Mexique dans Le voyage de Rosario avec un scénario qui nous entraîne à un rythme effréné dans un quasi tour du monde sur les traces d’un réseau organisé de trafic d’êtres humains à l’international en prenant pour enquêteur occasionnel un entraîneur sportif vendeur d’armes à l’âme de justicier, est un vrai coup de poing. Dans Raser les murs vie et trépas s’entremêlent et chaque nouvelle (à l’exception de Le grand cerf) a son lot de morts violentes.

Beaucoup de diversité dans ce recueil : Raser les murs nous fait passer d’une chanteuse haïtienne des années 40 à une « voix de l’ennemi » traditionnelle navajo, d’un mafieux américano-irlandais à une bénévole servant la soupe populaire, d’un milliardaire Ouzbek à un pêcheur mexicain, d’un hôtel de luxe avec piscine pour touristes à un vieux mobile-home, d’un tournage de cinéma à un clown tragique, avec toujours la même émotion.
Il suffit à l’auteur de quelques lignes et quelques mots pour, avec empathie et sans misérabilisme, par une appréhension plus comportementale qu’intime de ses personnages, esquisser un portrait juste de ces êtres ordinaires laissés-pour-compte par la société et rejetés en marge de la ville ou de ces Syriens que la guerre chasse de leur pays, tentant pareillement de rendre à chacun un peu de sa dignité humaine. La nuit, les bars, les rues de Paris avec ses putes, ses clochards et ses clandestins sont son univers de prédilection. S’il nous dépeint leur détresse et leur précarité, voire la violence qui sourd en eux, c’est pour dénoncer sans fard la brutalité de cette réalité qui les a jetés dans la rue et dispersés sur les chemins. Mais quand Marc Villard, presque en journaliste, avec colère et révolte, appuie là où ça fait mal pour nous ouvrir les yeux sur ces insupportables injustices, il ne manque pas d’évoquer en contrepoint cet élan de compassion et de solidarité qui anime les réseaux de bénévoles soutenant ponctuellement ces déshérités du mieux qu’ils peuvent, comme un éloge à la solidarité populaire.          

Si ces fictions sont socialement marquées et bien évidemment sombres et percutantes, elles sont aussi empreintes de tendresse. Parfois l’humour les traverse :
« Lulu se demande si le type qui voit tout là-haut, genre Dieu ou Johnny, ou encore Elvis (Cécile serait plutôt pour qu’il s’appelle Elvis), bon, ce type qui voit tout : Babar, les rouleaux de printemps, Cécile agenouillée devant la cuvette, son minou qu’elle caresse dans les toilettes, est-ce qu’il peut s’intéresser à tous les gens en même temps ? » (Kebab palace)
« À Nueva Rosita, au Mexique, une Mercedes progresse dans le trafic avec trois hommes à son bord ; Oscar, celui qui dirige le trio, est barbu et ressemble vaguement à Gael Garcia Bernal. Les deux autres sont d’anciens flics acquis aux vertus de l’entreprise libérale. » (Le voyage de Rosario)
Marc Villard dans ses chutes où avec l’introduction d’éléments ou de personnages inattendus, aime aussi à jouer de l’effet de surprise (mention spéciale pour Matisse en invité inattendu dans Gladys).

Ce qui domine cependant incontestablement c’est la profonde humanité qui chez Marc Villard imprègne le moindre passage. C’est ici, autant que le scénario parfaitement mené de ces histoires, le regard porté sur ces femmes et hommes par l’auteur qui touche le lecteur. Non seulement il sort de l’ombre ces victimes désignées et ces éternels perdants pour leur apporter visibilité et dignité mais il parvient de surcroît à ne pas les réduire à leur seule marginalité ou misère pour leur donner chair, éveillant ainsi en plus de notre intérêt pour eux un sentiment d’empathie voire d’affection. 

Un recueil de nouvelles exemple du genre, parfaitement construit et superbement écrit, précis, efficace et généreux, à lire et faire lire à tous les plus de quinze ans, pour porter un autre regard sur ceux que l’on croise dans les villes sans les voir et, bien sûr, pour le simple plaisir de goûter, une fois encore et avec un intérêt toujours renouvelé, cette authenticité et cette musique singulière qui sont la marque de cet excellent écrivain.     

Dominique Baillon-Lalande 
(16/05/22)    



Retour
Sommaire
Noir & polar








Joëlle Losfeld
(Février 2022)
192 pages - 17,50 €

Version numérique
12,99 €













Marc Villard,

né en 1947, passionné de musique et de cinéma, est l’auteur de plusieurs dizaines de livres :
romans, nouvelles,
poésie, scénarios, bd…

Bio-bibliographie sur
www.marcvillard.net/





Découvrir sur notre site
d'autres livres
de Marc Villard :

Bird

Les biffins

Barbès trilogie

La mère noire
(avec JB Pouy)