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Christian VIGUIÉ

Ballade du vent et du roseau


« Sans doute le présent n'est que l'encre de la mémoire, mais une encre émerveillée avec laquelle on peut relier une vitre à la patte d'un oiseau, la paille avec un éparpillement d'étoiles. »

Cette phrase, issue de la Lettre qui ouvre le livre, laisse entrevoir quelques éléments du cheminement du poète – l’encre, la mémoire, l’émerveillement, l’oiseau, la paille, les étoiles – que nous retrouverons au fil des pages et d’un vagabondage très sensible aux territoires qu’il traverse.

Le livre comprend quatre recueils. Le premier, qui donne son titre à l’ensemble, Ballade du vent et du roseau, nous emmène marcher à ses côtés, loin des villes, en pleine nature, observer les détails du quotidien, les cailloux, les animaux ou les plantes, le ciel et les nuages, sous le soleil ou la pluie, et ressentir avec lui les émotions qui l’envahissent, la tristesse surtout quand tout disparaît noyé par l’averse.
« Seule ma tristesse
ne s’est pas évaporée
au milieu de la pluie. »
La tristesse accompagne souvent sa solitude de vagabond rimbaldien.
« J’ai appris à avoir faim et froid
alors que la jeunesse demandait autre chose »
Une tristesse due à la rupture, à la perte :
« car résonne encore en moi
le bruit de mon cœur qui se brise. »

Mais pas de désespoir. Toujours le plaisir, le besoin de marcher, regarder, ressentir. Avec ce petit décalage qui fait sourire et réfléchir, un peu à la manière de Prévert :
« Hier était une corneille
Elle sautillait sur une branche
Je n'avais pas de cage
Ma mémoire n'était pourvue
d'aucun barreau
Ainsi
ne me reste d'hier
qu'une plume noire. »

Un décalage qui vacille parfois entre la logique et l’absurde, l’humour et l’espièglerie.
« Un étranger a voulu m'offrir une chaise
Je l'ai placée au milieu de la cour
l'ai longuement regardée
Je lui ai demandé de ne me céder
que les ombres de la chaise
celles qui me feront asseoir aux heures du soleil
sauf à midi
car à midi le soleil sera une orange
qui tiendra en équilibre sur ma tête. »

Le deuxième recueil, Chemins cousus sur des ombres, est un poème d’amour.
« Pourquoi écrirai-je un poème
si je ne t’aimais pas ? »
Donner un nom, choisir un mot est toujours chose grave.
« Sache qu’il y a ton nom
entre le monde et moi »
Nous n’en saurons pas plus. Pas d’Elsa ou d’Aurélia ici.

Après cette déclaration à la mystérieuse aimée, on peut lire un vagabondage sur la pensée, la métaphysique, l’absence de frontière entre le rêve et le réel, non sous forme d’essai ou de réflexion ardue mais dans les petits gestes du quotidien comme lacer ses chaussures, fermer ses volets ou tourner une clé dans une serrure. « Après tout ma pensée n'est qu'un trousseau de clés / qui ne s'accorde à aucune porte ».
Là encore, le plaisir de tordre la logique, de tenter l’absurde.
« Un oiseau vole
une clé tombe
Tout cela si évident
et pourtant je pense
à ce qui pourrait être contraire :
un oiseau tombe
une clé vole
j'inverse simplement les roues de la gravité
et me demande quel oiseau peut ouvrir une porte
quelle clé peut s'ébrouer
au milieu d'une flaque
comme si la réalité était le fait de sortir du moindre reflet »

Ce deuxième recueil se termine sur une évocation de la mort, de la sienne, de celle des autres, de ses parents, de la légèreté de sa propre disparition qui ne changera pas la face du monde.
« Lorsque je ne serai plus de ce monde
il y aura le même noyer que j'ai regardé
[…]
Voilà pourquoi j'aime ce monde
parce qu'il n'a pas besoin de moi »

Pour compléter le présent ouvrage, Paysages dans la neige et Le livre des transparences et des petites insoumissions sont des rééditions de recueils parus il y a plus de vingt et qu’il est intéressant de  retrouver ici.  

Cette poésie de vagabond solitaire fait apparaître en creux l’absurdité d’un monde plein de normes et de conventions, un monde de l’urgence et de l’agitation, où l’on oublie de contempler la nature qui nous encoure, de laisser jouer notre pensée en liberté, d’emmêler avec plaisir la logique et l’absurde, le rêve et le réel. Christian Viguié rappelle l’existence et la persistance en chacun de nous de l’enfant qui est né, qui a grandi, qui a appris, mais qui ne doit pas cesser de s’émerveiller, de s’émouvoir, de continuer à apprécier la simplicité naturelle du monde derrière les apparences du confort et de la modernité. Tout n’est pas imposé, on peut réfléchir à d’autres choix…
« Je me promène avec une pièce dans ma poche
Elle ne me permet même pas
d'acheter la page arrachée d'un livre
[…]
Elle me dit qui je suis
et l'homme que je n'ai jamais voulu être »

Serge Cabrol 
(28/03/22)    



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Poésie








La Table Ronde

(Mars 2022)
224 pages - 18 €

Version numérique
12,99 €












Christian Viguié
a déjà publié une trentaine de livres et obtenu plusieurs prix littéraires.


Bio-bibliographie
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un entretien avec
Christian Viguié

(Février 2008)