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Gaea SCHOETERS


Le trophée


Écriture masculine, écriture féminine, débat stérile. Gaea Schoeters, journaliste et autrice belge, se glisse avec une étonnante justesse de ton et une remarquable subtilité dans l’esprit inflexible et dominateur d’Hunter White, riche financier newyorkais qui débarque une fois de plus en Afrique pour ajouter un nouveau trophée à sa collection ou plutôt à celle de sa femme parce que, pour lui, seul le dernier regard de l’animal quand il le tue représente sa vraie victoire. La romancière nous fait partager au plus près les pensées et les émotions d’un homme dont on se sent pourtant très éloigné. Étrange impression…
Mais, au-delà de la chasse et du chasseur, ce sont toutes les contradictions de la protection de la nature en Afrique australe que l’autrice met en lumière, de même que les mauvais traitements infligés aux peuples autochtones, comme les bushmen, sans cesse déplacés et persécutés.

Hunter White est chasseur depuis l’enfance, initié par son père et son grand-père. Le dernier souvenir de son père date de ses six ans, « sa main ébouriffant ses cheveux, le matin où il est parti pour la chasse à l’ours dont il n’est jamais revenu ». Sa mère a voulu lui interdire la chasse mais le grand-père n’a pas cédé et a inculqué au petit Hunter, avec beaucoup de rigueur et de sévérité, les règles strictes d’une activité considérée comme un art noble et respectueux du monde animal. « L'image de son grand-père, massive et inflexible, s'était gravée si clairement sur sa rétine qu'il pensait à lui chaque fois qu'il partait à la chasse. Encore aujourd'hui. Il lui suffit de ramasser son arme, qui appartenait auparavant à son grand-père, pour sentir sa présence à côté de lui. »

Au moment où commence le roman, Hunter arrive en Afrique vient terminer son « big five », le tableau de chasse comprenant les cinq animaux considérés par Hemingway dans Les Vertes Collines d'Afrique comme les plus difficiles à chasser : le lion, le léopard, l'éléphant, le rhinocéros noir et le buffle. C’est le rhinocéros noir qui manque à sa collection.
Il a donc, une fois encore, fait appel à son ami Van Heeren, chasseur professionnel et guide expérimenté, qui achète les droits de chasse au gouvernement et les revend à prix d’or au cours de ventes aux enchères sur Internet. Tout cela est légal et encadré par des contrats en due forme.
« Le rhinocéros qui lui est destiné est un mâle âgé : comme il n'est plus propre à la reproduction, il cause plus de nuisances qu'il ne génère de profits. Les femelles l'évitent désormais, ce qui le frustre ; il se lance alors par dépit dans des duels dangereux avec ses concurrents. En éliminant le mâle superflu, Hunter rend service au cheptel à long terme. »
Voilà un des nombreux arguments pour la défense de la chasse. Il y en a d’autres comme l’importance des centaines de milliers d’euros dépensés par les chasseurs qui servent à rétribuer et armer les gardes pour lutter contre les braconniers. « L'armée abat chaque année plus de braconniers pour protéger votre gibier que les braconniers ne tuent de rhinocéros. Ordre du gouvernement. Pour protéger l'économie. Cette chasse à l'homme est un sous-produit de la chasse au trophée. Et qui paie pour cela ? Vous. Avec chaque dollar que vous dépensez pour la prétendue conservation de la nature. »

Malgré tous les efforts de préparation, le professionnalisme du guide et des pisteurs, et l’efficacité de Hunter, la chasse ne se déroule pas comme prévu et le chasseur est privé de son trophée.
Hunter est frustré et très en colère. Heureusement, Van Heeren ne manque pas de ressources pour calmer son client qui va rencontrer les bushmen, participer à des chasses au buffle, au koudou (une grande antilope dont le mâle a de longues cornes torsadées) et même une chasse à l’homme parce qu’il ne faut pas oublier que nous sommes dans un roman noir…

C’est la confrontation entre les conceptions et les modes de vie des chasseurs blancs et des bushmen qui est passionnante dans ce roman. Dans la deuxième moitié, l’autrice donne un rôle important à un pisteur, Dawid, qui va accompagner Hunter dans ses aventures et s’efforcer de le protéger de tous les dangers grâce à sa profonde connaissance de la faune et de la flore. Scorpions, lions, hyènes, on ne circule pas dans la savane comme à New-York. Hunter s’étonne de la précision et de la pertinence des observations du pisteur.
« Tu te souviens de chaque empreinte dans le sable ?
Dawid hausse les épaules.
– Vous ne remarqueriez rien si quelqu’un avait marché sur votre tapis avec des chaussures pleines de boue ? Ici, je suis chez moi. »

Gaea Schoeters réussit là un ouvrage passionnant, à la fois un fascinant roman d’aventures, bien sûr, mais aussi un magnifique voyage en Afrique australe avec des guides exceptionnels et, peut-être avant tout, une étonnante mise en lumière des contradictions quant à la place et au rôle de l’homme dans la nature. En ces temps de réflexion écologique sur la destruction programmée de la planète, c’est un livre profondément salutaire.

Serge Cabrol 
(07/11/22)    



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Noir & polar







Gaea SCHOETERS, Le trophée
Actes Noirs
(Septembre 2022)
288 pages - 23 €

Version numérique
16,99 €


Traduit du néerlandais
(Belgique) par
Benoît-Thaddée Standaert










Gaea Schoeters,

née en Belgique en 1976, est écrivaine, journaliste et librettiste. Le Trophée est son premier roman
publié en France.

Bio-bibliographie sur
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