« Trois ans plus tôt, l’affaire Gallois avait failli mal tourner. Mais Keller [le commissaire] était parvenu à jongler entre les fous et les morts, et l'ordre naturel des choses avait fini par tout régler – avec un peu d'aide de sa part. Globalement, l'inertie accouchait de la stabilité. Le monde était de l'eau. Ça s'agitait, ça s'éclaboussait, ça s'égalisait et les affaires du monde croupissaient.
En appuyant la thèse de la mort de Dimitri Gallois et de la disparition de son jumeau, Alexis, Keller n'avait fait que suivre le sens du courant. Puis le calme était revenu. Et sa femme était partie. »

Mais voilà que Dimitri Gallois est de retour à Thionville, pour « enterrer ses morts », pour faire la paix intérieure, dans la zone des Trois Frontières, après avoir passé trois ans à Lamma Island, une île au large de Hongkong. Et voilà pour Les nuits rouges qui précède Mécanique mort. Ce nouveau roman développe ce qui était en germe dans le précédent mais peut très bien se lire sans connaître le premier puis les précédents épisodes sont rappelés au début.

Le retour de Dimitri, très vite, pose problème car il est agressé. Il était inconcevable que ceux qui en avaient après lui ait eu vent de son retour par pur hasard. Ils en avaient été informés. Une mécanique était à l'œuvre.

Le moteur de l'intrigue est une lutte contre les mafias. « Keller ne se lassait pas de relire cet extrait d’une étude rédigée en 1876, intitulée Conditions politiques et administratives de la Sicile : "Le chef mafieux agit comme capitaliste, imprésario et gestionnaire. Il coordonne la perpétration des crimes, régule la division du travail, contrôle la discipline de ses employés. Ce patron doit s'adapter aux conditions du marché pour les opérations à mener, les personnes à exploiter, la forme de violence à utiliser". » Finalement la seule différence avec le capitaliste bon teint, c'est que chez lui le licenciement c'est la mort.

Il y a trois mafias en présence dans cette zone des Trois Frontières. C’est la vieille Kompania Bello albanaise dirigée par les cousins Rustemi et Idrizi qui contrôle la région. La KB ne connaît que l’antique violence du code d’honneur. Violence du profit immédiat avec le fentanyl, opium de synthèse fabriqué en Chine, qui tue très rapidement les consommateurs. Pour Nesrine Bichiki, simple dealeuse sur Thionville, fournie (et surveillée) par la KB : « Ils ne pensent qu'à décupler leurs profits sans réfléchir une seconde au fait qu'ils vont bousiller la clientèle, […] tuer la poule aux œufs d'or, mais également déclencher l’enfer puissance cent. » Violence tout court avec Gamo, l'homme de main de la KB, psychopathe cruel, qui s'occupe des livraisons à Bichiki.
Mafia moderne avec la ‘Ndrangheta calabraise dont Nicola Santo Serra, qui ne croit qu’en l'harmonie des nombres qui laisse les mains propres, dirige une branche et veut diriger cette région.
Enfin puisque la mafia c’est du capitalisme et qu’entre le "marginal" et "l’officiel" il y a une bonne zone grise, la troisième mafia qui veut le pouvoir sur cette zone est une filiale de la banque HSBS Global Private Banking, HSBSquare, un service dirigé par Thomas Allen qui dispose d’une armée privée.

Dimitri est coincé entre ces trois organisations, Dimitri est coincé entre lutte de pouvoir, violence et mort. Arrivera-t-il à la paix intérieure ?

Heureusement dans cette Mécanique mort il y a des personnages plus solaires comme Luna et Clara et de l’humour avec Agathe, la mère de Dimitri, ainsi que des passages très poétiques.
Mécanique mort est un bon roman "mortel" qui développe, dans une "mécanique" précise et bien huilée, une face cachée de nos sociétés occidentales.

Michel Lansade 
(05/10/20)