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Christine MONOT

Venez donc prendre le dessert


Venez donc prendre le dessert est un recueil de seize nouvelles courtes, de quatre à douze pages, qui s’organisent autour de thématiques communes. 

Cinq nouvelles ont pour cadre la mobilité et les moyens de transport et se déroulent à huis clos, sous couvert souvent de confidence, dans une cabine de camion, un taxi, une voiture ou en lien avec une moto. Les personnages en sont les conducteurs, deux auto-stoppeuses, une passagère et la tenancière d’un bar de routiers.
Anniversaire évoque les vingt ans d’une station-service d’autoroute où la barmaid a passé sa vie aux côtés des chauffeurs et auto-stoppeuses qui s’y croisent.
La ville la plus élégante d’Espagne imagine la rencontre de Juanito, chauffeur d’un camion frigorifique aux sautes de comportement déstabilisantes face à une jeune auto-stoppeuse aguerrie qui sait se faire respecter.  
Dans Est-ce que ça va marcher ? un militaire, boucher dans le civil et obsédé des chiffres, prend une auto-stoppeuse et lui raconte sa vie : « Je me suis fait virer de l’armée parce que j’ai traité mon capitaine d’incompétent et d’imbécile (…) Là-bas j’étais sergent mais tout ça, c’est terminé, je retourne chez moi. Finie l’armée, c’est la quille ! Tu sais que dans mon régiment un soldat mourait tous les deux mois ? (…) Moi, je me suis engagé quand j’étais minot. J’avais pas eu le choix. (…)
– Et maintenant, tu vas faire quoi ?
– Je retourne à la boucherie. Toutes mes anciennes clientes m’attendent avec impatience. Et tu sais j’ai deux métiers, je suis aussi tueur (…) Pour se préparer au froid de l’hiver, rien de mieux que le sang tiède (…) t’as jamais goûté ?
– Non... j’aime déjà pas la viande saignante.
C’est alors qu’une panne immobilise le véhicule sur une petite route isolée.
« Je remarque qu’il a retiré les clefs du contact. Je me sens comme dans un film. »        
Dans Chauffeurs de taxi, un immigré parti faire le taxi à Paris pour nourrir sa famille de sept enfants, frustré de ne revenir au bled qu’une fois l’an, décide des années plus tard de rentrer définitivement vivre dans son pays. Une rencontre avec une inconnue va bousculer ses plans.
Les retrouvailles raconte l’histoire de deux gamins de père antillais, passionnés de moto qui se sont liés d’amitié. Régis après un grave accident change de vie et ils se perdent de vue. Trente ans plus tard, il tente de retrouver son copain d’enfance...

Quatre des nouvelles ont pour personnages au moins un être fragile et perturbé incapable de se gérer seul.
Ainsi Le petit commerce où le lecteur croise un jeune garçon psychologiquement fragile et sa sœur jumelle ayant accouché depuis peu, tous abandonnés par la mère et travaillant dans la ferme isolée du père. Le garçon, qui s’occupe comme il peut de l’élevage des volailles, accueille les rares touristes venus chercher des œufs frais. La colère et la crainte semblent ici régner en maître.  
Jean-Loup par Jean-Loup met en scène un garçon perturbé et interné, une jeune femme, Véronique, dont il est amoureux et une bagarre pour une rose qui sera lourde de conséquences. « Tante George a parlé de la famille et des morts. Moi, je voudrais un traitement pour oublier. » « En fait, j’accompagnais Véronique parce qu’elle m’utilisait pour qu’on lui claque pas la porte au nez. Quand ils me voyaient, ils croyaient qu’on venait faire la quête pour les handicapés et dès qu’elle disait que non, c’est pas pour lui, c’est mon frère, c’est pour pas le laisser tout seul à la maison, il n’a rien à voir avec l’enquête, la porte s’ouvrait. »
Dans L’arbre de Fernand, Jeanne est internée après une tentative de suicide. Paul, son mari, sa mère et son père, venus de la capitale pour la visiter ne restent pas longtemps. Pour le retour, ils choisissent le chemin des écoliers pour éviter les embouteillages du dimanche soir. Un détour hallucinatoire du côté des cimetières qui s’avérera aussi thérapeutique qu’artistique.
Venez prendre le dessert, la nouvelle-titre est une nouvelle chorale avec quatre protagonistes et narrateurs successifs dont Victor, interné en psychiatrie et Lucette, sa grand-mère. « Dans deux heures, mamie Lucette me ramènera à l’hôpital sans que j’aie réussi à lui donner la moindre satisfaction de tout le week-end (…) Elle m’a traité de parano. D’accord, je suis parano mais on a souvent de bonnes raisons de l’être. Et un bon parano pense toujours qu’il a raison. C’est ça qu’elle comprend pas ma mamie. »

Deux nouvelles mettent en œuvre des personnages apparemment normaux mais sous tension que le stress semble à tout moment pouvoir faire dérailler: Secours populaire où une femme apparemment fragile, qui se retrouve seule et sans téléphone coincée dans une minuscule cuisine durant tout un week-end, tente d’échapper à la panique en descendant une bouteille de rhum, et Ils sont partout qui nous rapporte la confrontation d’un homme singulier venu relever le compteur d’électricité d’une retraitée, puis revenu pour s’occuper de son jardin, qui semble vouloir s’incruster. L’alcool aidant, son comportement est des plus inquiétants : « Elle ouvre un tiroir et sort un paquet de cigarettes. Ils se mettent à fumer. (…)    
– Je crois que je peux vous faire confiance.
– Ça dépend pour quoi.
Elle commence vraiment à se poser des questions. Elle le regarde dans les yeux, prête à entendre qu’il a changé de sexe.
– J’ai tué un homme.
– Ah bon ? (…) Vous alors... Je m’attendais pas à ça. Enfin ce sont des choses qui arrivent.
– Je l’ai tué pour rien. Un inconnu. Je ne sais même pas comment il s’appelait. J’ai même pas regardé si on en parlait dans le journal. Si c’était pas un gars connu, y’avait pas de raison que ça se sache. J’ai réussi un crime parfait. Ça fait vingt ans. Vous êtes la première à qui je raconte ça. Merci, merci.
– Vous n’êtes pas le seul à avoir tué sans avoir été puni. La plupart des crimes ne sont pas élucidés, c’est pour ça qu’on en parle pas. Vous imaginez la panique ? En fait c’est en tuant n’importe qui qu’on s’en sort. Y’en a que j’aurais eu envie de tuer dans ma vie, mais je ne l’ai pas fait ; avec ma veine, sûr que je me serais fait choper. C’est plus facile quand il n’y a pas d’histoires de connaissances, de sentiments, à condition de ne pas laisser de traces ni de témoins. Mais loin de chez soi, c’est mieux non ? Ça s’est passé où votre affaire ?»

Les cinq dernières nouvelles racontent des tranches de vie plus ordinaires, heureuses pour Praha où l’achat de bottes fourrées par deux Ukrainiennes, la mère et la fille, arrivées depuis peu à Prague et saisies par le froid, tourne à l’épopée ; ambiguë mais franchement positive pour Les derniers jours de Lulu, récit des funérailles de Lulu organisées par une épouse aimante qui raconte leur vie, son homme, ses chats et, le vin aidant, rêve de liberté et de voyage avant de le rejoindre ; ridiculement banales pour Comment passer pour un goujat oùun homme abandonné et dévalisé par celle avec laquelle il formait un couple sans nuages décide de passer une soirée dans un grand restaurant avec une de ses connaissances, une chic fille, jolie et momentanément dans le besoin pour se changer les idées, et  Deux mois chez Régina qui narre l’inventivité d’une modeste logeuse et l’accablement d’un jeune comédien désargenté face à une chambre de bonne de six mètres carrés qui illustre avec humour la galère pour se loger à un prix abordable dans la capitale.
Enfin, dans Une photo de perdue, nouvelleparticulièrement sensible et grave sous ses dehors de conte décalé, le lecteur découvre un SDF qui vit une de ses plus belles journées d’homme de la rue quand un photographe vient lui offrir cinquante euros de rémunération et la revue d’art en papier glacé où son portrait apparaît en grand format. Une superbe histoire qui conjugue la problématique rarement abordée de la dignité perdue puis retrouvée et celle de la loi de la jungle qui régit cette communauté.

       Ces nouvelles à la fois graves et teintées de légèreté nous parlent de vrais gens qu’on penserait presque avoir déjà croisés, nous narrent des rencontres de hasard, esquissent des portraits de laissés pour compte et d’êtres à la dérive, empêchés et ballottés par la vie, de héros enfermés dans leurs angoisses et leurs obsessions, englués dans les mensonges et les secrets qui les anéantissent. Elles font également écho aux réseaux numériques qui libèrent la parole et portent un regard très contemporain sur des sujets comme l’emprise, le désir, la maternité et le refus d’enfanter, l’amour des chats, la frustration sexuelle et le consentement, la sexualité des handicapés, les frotteurs du métro...
 
Chez Christine Monot, les phrases sont courtes, les dialogues vifs et nombreux, le ton est juste, le rire franc, les petits riens créent l’atmosphère et en disent beaucoup. Les situations originellement banales parviennent à basculer dans l’absurdité ou le loufoque sans perdre leur crédibilité et la sensibilité est au rendez-vous.
Quand un drame s’esquisse c’est avec un certain recul, avec pudeur, jouant de l’ellipse ou se retranchant derrière un humour libérateur. Et quand l’angoisse se fait trop pressante faisant pressentir le pire au lecteur, l’autrice désamorce la bombe qu’elle a glissée sous le siège pour finir de dérouler son histoire jusqu’au bout sans tragédie ni hémoglobine.

Pour ma part, vous l’aurez compris, s’il me fallait choisir une de ces nouvelles ce serait sans hésitation Une photo de perdue, pour sa précision, son envergure, son originalité et son humanité, mais c’est là une question de sensibilité personnelle.  En piochant au hasard ou en lecture continue, vous trouverez à coup sûr vous-mêmes dans Venez donc prendre le dessert la nouvelle dont, pour des raisons qui vous sont propres, il vous sera difficile de vous déprendre. Une belle découverte.  

Dominique Baillon-Lalande 
(13/04/22)    



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Christine MONOT, Venez donc prendre le dessert
Rhubarbe

144 pages - 13 €













Christine Monot,
nouvelliste et traductrice,
a publié des textes en français et en espagnol dans diverses revues. Venez donc prendre le dessert est son premier recueil.