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Brigitte GIRAUD


Porté disparu

Livio et Camille sont inséparables. Pour eux c’est l’année du bac.

En cours d’histoire on étudie le nazisme. La professeure, Mme Martel, a proposé aux élèves de faire un exposé sur les autodafés perpétrés par les nazis. Livio, pourtant timide et réservé, s’est porté volontaire. Il parle avec passion de Magnus Hirschfeld, médecin juif et homosexuel qui fonda en 1919 à Berlin un institut de sexologie et une bibliothèque scientifique de vingt mille ouvrages. Ses livres partirent en fumée lors des premiers autodafés en 1933. Magnus Hirschfeld lutta aussi pour l’égalité hommes-femmes et pour la défense des droits des homosexuels.
Livio raconte avec passion le parcours de ce médecin, pionnier de l’étude de la sexualité humaine sur des bases scientifiques et persécuté par les nazis. « Juif et homosexuel, ce n’était pas l’identité idéale pour l’époque. »
Livio émaille son exposé de citations, celle de Heinrich Heine tombe à pic : « Là où l'on brûle des livres, on finit par brûler des hommes. »
Quand Livio aborde la théorie du troisième sexe et d’autres choses assez osées, deux élèves expriment leur hostilité puis annoncent des représailles et pour finir deviennent grossiers. En retour, une élève les traite d’homophobes, mais la tension est à son comble et la professeure n’arrive pas à faire revenir le calme.

Pendant le week-end qui a suivi le vendredi de l’exposé, l’un des élèves hostiles dénonce auprès des parents et du proviseur un exposé tendancieux faisant l’apologie de l’homosexualité, de la théorie du troisième sexe, encourageant les élèves à voir des films moralement discutables. Cette pétition accuse aussi la professeure qui aura des ennuis avec le rectorat. Pour Livio c’est trop. Il préfère prendre la fuite et disparaît sans donner de ses nouvelles.

Le roman donne successivement la parole à Camille, au professeur, à Arthur (l’un des garçons hostiles), à la mère puis au père de Livio et à Livio lui-même. Il n’y a pas de récit objectif des faits, seulement six longs monologues où chacun exprime les émotions très personnelles que ces faits ont provoquées. Cette construction polyphonique du roman met en lumière ce que chacun des protagonistes vit dans un univers étanche sans pouvoir partager celui des autres. Livio ne parvient pas à communiquer avec ses parents même quand il brûle du désir de le faire. C’est quand il est porté disparu que ses parents en prennent conscience.
La professeure d’histoire se dépêche d’aller à son rendez-vous au lieu de protéger Livio après son exposé. Elle s’en veut encore plusieurs mois après les faits.
« J'aurais dû parler à Livio avant de dévaler les escaliers pour rejoindre le bureau du proviseur. […] Dix-sept ans est l’âge de tous les dangers, chaque professeur devrait se le rappeler chaque matin. […] Une phrase qu’avait prononcé Livio, en parlant du combat que menait Magnus Hirschfeld, m'avait marquée. Il avait dit que l'homosexualité est la seule minorité qui ne trouve pas nécessairement de réconfort auprès des siens, que c'est la seule minorité qui se construit hors de la famille, et parfois contre. Cette phrase, je l'avais notée comme étant l'une des révélations de la matinée, je n’avais jamais pris conscience d’une telle réalité. […] la phrase était restée suspendue sans que j’en fasse rien. Livio avait pourtant été clair, et j’étais rentrée chez moi avec cette phrase qui me bouleversait. »

Le courage de Livio c’est justement d’avoir osé briser ces cages de verre invisibles et de se livrer, « s’exposer » dans sa singularité à travers l’histoire de ce résistant à l’idéologie mortifère du nazisme.
Mais ce roman n’est pas moralisateur, univoque, puisqu’il donne la parole à Arthur qui explique pourquoi « il a pété les plombs », pourquoi il ne pouvait pas croire que des hauts dignitaires nazis fréquentaient cet institut. Cela ne collait pas avec l’idée qu’il se faisait des nazis. Il ne pouvait pas imaginer que ces hommes puissent être ambivalents et ambigus. « C’est un peu comme être pompier et pyromane. Pédé et nazi, ça a dû exister, faudrait qu’on m’explique […] c’était tellement gros que je me suis demandé si tout l’exposé avait pas été inventé. »

Ce roman très émouvant ne juge pas mais s’efforce de comprendre toutes les convictions, leur origine, en quoi elles sont constitutives de l’identité de chacun. Les parents de Livio sont italiens. Pour son père, « le plus embêtant dans l’histoire, […] c’est que les Caproni n’auront pas de descendance, puisqu’il est le dernier à porter le nom. Et ça, c’est quelque chose qui sera difficile à entendre pour mon père. »

En guise d’illustrations, Laurie Lecou fait parler des fleurs – un gros bouquet qui cache son visage pour Livio, une fleur qui saigne ses pétales pour Camille, une prairie fleurie baignée de soleil pour Mme Martel, etc… – suivies d’une pleine page rouge qui marque le début de chaque monologue. Que les couleurs primaires plus le vert, c’est simple et discret.

Nadine Dutier 
(10/10/22)    



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Jeunesse






Brigitte GIRAUD, Porté disparu
L’École des loisirs

Collection M+
(Septembre 2022)
168 pages - 12 €





Illustrations
Laurie LECOU











Brigitte Giraud,
romancière et nouvelliste,a déjà publié de nombreux ouvrages et obtenu le Prix Goncourt 2022.
Porté disparu est son premier roman pour la jeunesse.



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