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Axel SÉNÉQUIER

Le bruit du rêve contre la vitre


Le point commun entre ces douze nouvelles est que toutes ont été écrites en temps de Covid-19, plus exactement lors de ce confinement au printemps 2020 quand dans les villes tout soudain s’est arrêté.
Chacun de ces courts récits aux narrateurs multiples et variés, de Milou à peine majeure (Sauvage) à Catherine de quatre-vingt-quatorze ans (Marée noire), avec pas mal de quarantenaires au masculin ou au féminin, souvent en couple et avec enfants, évoquent un aspect particulier du confinement : l’école à la maison, le stockage de la farine au cas où elle viendrait à manquer, la cohabitation permanente dans de tout petits appartements qui peut tourner au drame et l’exil clandestin dans la résidence secondaire, les applaudissements aux fenêtres et l’élan bénévole de certains pour leur prêter main forte, la végétation et les animaux qui s’épanouissent, les heurts et malheurs des apéros Zoom et des visioconférences, la réalité brute d’un malade en réanimation. Et si certains des protagonistes sont au front (infirmières, agent en Ehpad, enseignante), ce ne sont pas eux qui ici commentent l’augmentation de leur charge et l’accélération du temps mais les autres qui enfermés chez eux ressentent au contraire sa suspension et perdent leurs repères. Très vite apparaît que la pandémie n’est pas un état de guerre mais un grain de sable dans les rouages d’une existence que l’on voulait bien réglée, nous acculant à tomber les masques, à questionner nos certitudes et à déposer les béquilles soudain hors d’usage que nous nous étions patiemment fabriquées.  Les effets du confinement et de la Covid-19 ont eu des conséquences dévastatrices ou salvatrices, c’est selon. Comme Internet, la crise sanitaire ne génère et ne modifie rien mais a un effet amplificateur sur l’angoisse, les frustrations, nos faiblesses, nos truquages et nos doutes, tandis qu’elle braque sur notre société un projecteur qui en révèle les aspects destructeurs ou malsains.  Cette pression sociale, cette compétition à outrance, ce tourbillon qui cache le vide, la perte de sens et la solitude s’étalent désormais au grand jour, de quoi insuffler chez certains un sentiment d’urgence à vivre plus en harmonie avec eux-mêmes, la nature et les autres et faire imaginer à d’autres un « monde d’après » plus solidaire et plus respectueux.
  
Si l’aspect opportuniste du sujet et la saturation de l’espace médiatique qu’il a produite m’ont un temps freinée à commencer la lecture de ce recueil, son titre énigmatique et superbe et l’excellent souvenir conservé de son précédent livre (Les vrais héros ne portent pas de slip rouge) ont vite fait tomber cette réticence. Bien m’en a pris car finalement, si la Covid-19 en est le fil rouge elle n’en est pas fondamentalement le sujet. L’auteur s’en sert de fait comme un révélateur de notre société contemporaine pour interroger ce qui se cache derrière nos comportements, nos choix et nos angoisses banales comme la crise de la quarantaine ou la réussite scolaire des enfants et explorer les failles intimes de ses personnages jusqu’à frôler parfois des questions existentielles.
Le lecteur retrouve ainsi au fil de ces nouvelles d’autres thématiques récurrentes dans ce début du vingt-et-unième siècle, sans lien particulier avec le virus, comme l’affirmation de son homosexualité, les violences faites aux femmes, les emplois ‘bullshit’ vidés de sens, le racisme ordinaire, l’isolement des personnes âgées, les incidences du numérique et des réseaux sociaux sur nos vie ou le poids des influenceurs sur Internet.
« Facebook était cette nana moyenne avec qui on sort pendant des années simplement parce qu’on n’a pas le courage de rompre. » (Le chemin de l’école).    
« Cassante comme du verre, Cécilia avait l’empathie d’une table de ping-pong. »« Dans les commentaires le monde se divisait entre ceux qui l’insultaient avec une rare violence et ceux qui la vénéraient (…)  La jeune fille était aussi détestable que brillante. On avait envie de la gifler sans parvenir à détourner les yeux de son écran. » (Fashion faux pas)

Le savoir-faire d’Axel Sénéquier est de transformer ces polaroïds aux couleurs acides, féroces par moments, en une succession de situations vives et cocasses traitées avec assez de distance et de finesse pour y glisser subrepticement la formule qui fait rire, les quelques vers ou la référence à une chanson qui élargissent l’horizon et éclaircissent le ciel, ou le dialogue qui tout en humour et en légèreté saura substituer à l’amertume un tendre sourire. Plus encore, il le fait avec un tel sens de l’équilibre que jamais ce processus n’amoindrit ou ne désamorce la force des questions qu’il soulève.   
 « S’il fait mauvais chez vous, ouvrez les fenêtres. » « Un éclat de rire ne coupe pas. » (Balcons fleuris)
« Je viens d’avoir quarante ans et le gouvernement a décrété le confinement, quand on parlait de crise de la quarantaine, je n’avais pas ça en tête. » (La crise de la quarantaine)
« Ses rejetons étaient en CP, CE1, CM1, lui était passé par l’X, en toute logique il devrait s’en sortir. » « En quelques semaines, Victor avait revu drastiquement ses ambitions à la baisse. Désormais, il n’était plus question de prendre de l’avance sur le programme ou d’élargir leur horizon, si ses trois enfants étaient toujours vivants au moment du déconfinement, ce serait déjà une victoire. » (Le chemin de l’école)
« En déboulant sur le trottoir en pleine nuit, deux sacs de voyage sur les bras, Sigrid trouva son compagnon à l’arrière du monospace en train de sangler le petit dernier dans le fauteuil bébé. (…) La jeune femme s’approcha en souriant et murmura : j’ai l’impression qu’on est des bourgeois de droite qui partent planquer des lingots en Suisse le jour de l’élection de François Mitterrand. Moi, ça me rappelle les grands départs quand on rentrait passer l’été au Portugal. Vingt-quatre heures de route sans clim, c’était l’enfer. Pourtant avec mes frangins, ça sentait déjà la liberté. (…) Tu crois qu’on a pris la bonne décision ? Mais oui, t’inquiète ; (…) t’écoute trop BFM. (…) On a croisé personne depuis qu’on est partis (…) notre maison est indépendante et une fois sur place on respectera le confinement. » (Intégration)
La chute de ces nouvelles est souvent ouverte et positive, laissant avec bienveillance entrevoir au lecteur une porte de sortie vers la lumière et l’espoir.

Qui aurait cru qu’à partir de cette pandémie qui nous a tous affectés à des degrés divers, gênés ou profondément marqués, qu’Axel Sénéquier parviendrait à nous offrir un recueil aussi peu convenu, ni pathétique ni critique mais juste, intelligent, diversifié, riche de questionnements et surtout étonnamment en phase avec notre société, positif et éminemment drôle ?  Une belle réussite à mettre dans toute les mains, même dans celles des lecteurs qui pensent a priori ne pas apprécier ce genre littéraire que ce recueil-là pourrait séduire par sa modernité.

Dominique Baillon-Lalande 
(23/08/21)    



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Lectures








Quadrature

(Avril 2021)
146 pages - 16 €













Axel Sénéquier,
a déjà publié un recueil de nouvelles noires et deux biographies pour la jeunesse sur Jean-Paul II
et L’abbé Pierre.





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le précédent recueil
d'Axel Sénéquier :
Les vrais héros ne portent pas de slip rouge