Le premier que nous rencontrons, c’est Pierre et il n’est pas au mieux de sa forme. Il vient de se faire plaquer par Agathe et il déprime. « J’ai l’impression de glisser. Tomber sans cesse au fonds d’un puits. »
L’ambiance familiale n’est pas de nature à le consoler. Son père est violent, verbalement avec son fils, physiquement avec sa femme. Il règne par la terreur. Il faut faire attention à chaque mot, chaque geste, pour éviter que la mauvaise humeur dégénère en crise.
Pour ne rien arranger, il a une marque sur le visage qui lui vaut beaucoup de remarques désobligeantes, de moqueries depuis qu’il est tout petit. « L'angiome. À la place, on parle de tache de vin parce que c'est bien plus dégueulasse dit comme ça. Mon angiome à moi, il part de l'œil droit, s'embarque tranquille sur le pif en mode je fais du skate sur ta gueule, Pierrot chéri, et redescend pépouze sur la joue, allez roulez jeunesse. […] On m'appelle la Tache depuis que je sais marcher. La Tache, c'est plus qu'un surnom, c'est mon identité »
Heureusement, il a un ami, un vrai, mieux qu’un frère, un double. Solal est un super sportif, un as du surf et du skate.

Solal a lui aussi une vie familiale bancale. Ses parents sont sympas mais sa mère est souvent absente pour des actions de militantisme écologique partout sur la planète. « C’est sa passion, l’environnement. Sa cause. Neuf ans qu’elle y consacre sa vie. »
Quand Pierre décide de créer une chaîne Youtube, c’est le père de Solal qui leur prête du matériel, caméra, micro, projos, du matos de pro.

Tout est parti de la lassitude de Pierre à regarder des heures entières des vidéos où des Youtubeurs transforment leur chaîne en télé-achat à force de promouvoir les produits qu’ils reçoivent dès qu’ils arrivent à décrocher des contrats avec des sponsors. Un soir, pourtant, un lien attire son attention : « Les trucs que j’ai eu trop honte d’acheter. » Une youtubeuse présente avec humour les objets qu’elle regrette d’avoir achetés. C’est différent de ce qu’il voit d’habitude et ça lui donne une idée…
« Je me barre de la vidéo. J'ai ri une fois et demie.
Avant de me pieuter, je prends conscience d'un truc. Si je veux rire, peut-être que c'est à moi de filmer mes dingueries. J'aurais six followers et demi, des commentaires à chier et peut-être que ça me ferait oublier ce chagrin d'amour.
J'écris à Solal pour lui suggérer l'idée. »
Solal est partant, comme d’habitude. Mais de quoi parleront les vidéos ? Pour la première, le choix de Pierre est simple : sa tache. Ce sera d’ailleurs le nom de sa chaîne, « La Tache ».
« Le concept, c'est : je parodie la tirade du nez de Cyrano. Tu te souviens ? Un type se fout de la gueule de Cyrano en lui disant que son pif est gros. Et Cyrano enchaîne en lui répondant qu'il manque d'imagination. Y a bien plus à dire sur son nez que juste "il est gros". Et là, il déroule plein d'idées en mode agressif, sympa, curieux, tendre, de comment le type pourrait se moquer de lui de manière plus stylée... Bah moi, je vais faire la même chose avec ma tache. »
L’idée est belle mais le résultat n’est pas à la hauteur de ses espérances.

Par contre, la deuxième vidéo va faire le buzz et « La Tache » va rapidement connaître un succès phénoménal. Pierre devient une star du web, une agence le prend en main, l’argent alimente un compte qu’il pourra utiliser à sa majorité… Le lecteur comprend mieux le fonctionnement et les coulisses de l’univers des « influenceurs ».

Agathe, qui passe des heures à suivre des youtubeurs au point de devenir une véritable groupie, regrette d’avoir largué Pierre à la veille de son succès. Elle se lance donc à la reconquête et tous les moyens seront bons…

Par contre, entre Solal et Pierre, rien ne va plus. Pierre, obsédé par son nombre de « followers », rejette les idées de Solal et agit maintenant comme tous ceux qu’il fustigeait avant.
Pourquoi ce besoin de réussite ? Solal mettra beaucoup de temps pour le comprendre…

Les deux auteurs réussissent encore un roman passionnant dans l’univers impitoyable des réseaux sociaux, avec des personnages émouvants ou irritants selon les moments, mais toujours attachants quand on découvre leur quotidien, leurs motivations, leurs réactions, leurs colères et leurs émotions. Toute la complexité de l’adolescence avec au bout des doigts un monde virtuel qui les fascine et leur ouvre des espaces si vastes qu’ils peuvent facilement s’y perdre, à moins d’apprendre à en maîtriser solidement les règles et à l’utiliser comme un outil précieux au service d’un vrai projet…