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Viviane CAMPOMAR


J’irai mourir à Odessa


Sept nouvelles autour de la ville portuaire d’Odessa sur la Mer Noire, l’important port céréalier de l'Empire russe baptisé ainsi par Catherine II de Russie, avant de devenir le théâtre du soulèvement  révolutionnaire des ouvriers soutenus par l'équipage du cuirassé Potemkine pendant la révolution de 1905, épisode rendu célèbre par le film d’Eisenstein. Odessa, ville de tout temps prisée des Russes et des Européens pour son accès à la mer, la douceur de son climat, son architecture et sa population très cosmopolite, est depuis 1991 la troisième ville de la République d’Ukraine. 

C’est de voyages, réels et imaginaires entre la Russie et l’Ukraine, dans cette petite enclave russophone au bord de la Mer Noire fantasmée par une certaine intelligentsia russe, que Viviane Campomar nourrit ces sept nouvelles qui se déroulent des années soixante-dix à aujourd’hui avec un lien direct ou indirect avec ce lieu mythique. Deux nouvelles du recueil se déroulent à Odessa :  Khlam où l’auteure croise habilement Odessa et le quartier de Little Odessa à New-York d’où vient non la narratrice mais son interlocuteur et La ballerine de l’escalier Potemkine où la ville et son escalier célèbre sont au centre de l’histoire d’une ex-danseuse du Bolchoï maintenant chorégraphe à Moscou. Dans Ballade nocturne et Leningrad Rock, qui se passent toutes deux dans la « Venise du nord » redevenue Saint-Pétersbourg en 1991, Odessa n’est qu’un nom sur une carte pour l’étudiante en chimie qui rencontre des alter ego venus de Berlin-ouest pour se perfectionner en langue russe et un beau souvenir de pionniers pour le jeune Gricha dont la mère nous narre la tragique mésaventure lors du premier concert de rock en 1985 dans sa ville. Dans Le Domovoï (esprit démoniaque) et la nouvelle titre, Odessa par contre est successivement l’endroit inaccessible fantasmé par le jeune couple pour sa lune de miel qui a dû se résoudre à se rendre dans la région du Kalouka plus près de Moscou où un esprit perturbateur va servir de révélateur à la jeune femme et une évocation douloureuse pour Oksana, issue de la communauté russophone d’Odessa arrivée à Paris depuis peu. Dans La maison de Vanves, une jeune artiste lyrique d’Odessa reçue dans le pavillon où la poétesse Marina Tsvetaïeva a vécu une partie de son exil parisien, découvre la communauté des Russes blancs de Paris.   

Un autre fil rouge est celui des arts : la poésie, la littérature (dont plusieurs mentions de La dame au petit chien d’Anton Tchekhov), la musique, le chant, la danse, la peinture ou le théâtre sont au cœur de quatre des nouvelles. L’université y est aussi souvent mentionnée de même que de nombreux détails de la vie quotidienne (logement, repas, école, nourriture, marchés) qui parsèment ces histoires animant les récits de réalisme, de parfums et de couleurs. Des sujets plus graves comme les dérives du régime soviétique (endoctrinement, surveillance permanente, privation de la liberté d’expression, de choix et de déplacement, emprisonnement abusif) et la guerre d’Afghanistan qui a touché de nombreuses familles russes, sont aussi brièvement évoqués.    

Mais au-delà de cette immersion russo-ukrainienne, c’est avant tout la dimension humaine qui, essentielle, incarnée par de beaux personnages, émerge entre les pages. Outre le fait que des femmes d’âges divers, étudiantes, épouses ou mères en sont toutes les narratrices et que six d’entre elles en sont les protagonistes principales, et que de nombreux autres personnages, masculins ou féminins, interfèrent avec elles, Viviane Campomar parvient avec facilité à donner à ses récits par leur intermédiaire, de l’émotion et de la chair. La plupart sont savoureux, et même si le lecteur pressent parfois une part d’ombre ou une part de complexité chez certains, ils restent globalement des êtres sensibles mais énergiques, cherchant à rester positifs quelles que soient les circonstances.

L’auteure s’attache ici à trouver les mots justes pour évoquer les situations, émouvantes, tragiques ou cocasses, énigmatiques, drôles ou terrifiantes qui émaillent ces différents récits, non sans un goût pour l’humour et une certaine espièglerie. La tendresse profonde qu’elle semble avoir pour cette région et ceux qui la peuplent ouvre le chemin vers l’empathie et l’émotion, tandis que de nombreuses anecdotes viennent alléger et dynamiser l’ensemble. Tous ici semblent se jouer de la réalité et des travers d’une société prise dans la folie de l’Histoire.

Ce recueil qui brouille les pistes en retraçant plus un univers intérieur parfumé à la russe qu’une exploration réaliste d’Odessa, tout en maîtrise et en allusions et fort agréable à lire, a reçu le prix de la nouvelle d’Angers / Harfang en 2020.

Dominique Baillon-Lalande 
(25/01/21)    



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Lectures








Paul & Mike

(Novembre 2020)
104 pages - 10 €


Prix de la Nouvelle de la Ville d’Angers 2020












Viviane Campomar
romancière, nouvelliste
et poète, est aussi enseignante en classe préparatoire scientifique.


Bio-bibliographie sur
www.sgdl-auteurs.org






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