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Ces six nouvelles de dix à dix-huit pages, sous une superbe couverture pleine d’humour et de sens, n’ont d’autre lien que ce monde du travail qui leur sert de décor pour, à partir de tranches de vie de deux femmes, trois hommes et un couple, aborder à chaque fois un univers social différent. La diversité des points de vue, les variations apportées par l’identité et la psychologie des personnages, le traitement et le format même de la nouvelle choisi par Sylvie Beauget pour aborder ce vaste sujet non dans sa globalité mais par ses marges, en font un recueil qui n’a rien de répétitif ou de fermé. Ces instantanés concis et sans bavardages, simples et directs, se positionnent au plus près des personnages avec empathie. En prise directe avec la société dont elle débusque les pathologies, Sylvie Beauget privilégie l’écoute à hauteur humaine, usant fréquemment de dialogues (ce qui n’étonnera pas de la part d’une auteure ajoutant à sa production de romans et de nouvelles quelques pièces de théâtre) imprimant un rythme vif à ses récits. Elle assaisonne le tout d’humour dès que l’occasion, malgré la gravité du sujet, s’en présente : « Maintenant que nous commerçons avec la Chine, je lis Confucius ! » (C’est après ou avant). « Des chiottes neuves voilà le prix des hommes » (Au chien qui fume). « Ils annonçaient une conférence à l’université (…) sur la sexualité ! Un truc que même un lapin sait faire chez nous sans fréquenter les amphithéâtres. Sauf le lapin d’Ursula qui buvait tant... J’avais envie d’en savoir plus sur le lapin d’Ursula mais il me fallait conclure en professionnelle : alors, nous allons vers quelle orientation maintenant ? » (L’histoire). Elle aime aussi à jouer avec les mots comme avec l’emploi dans la première nouvelle du mot « boîte » à la fois pour l’entreprise mortifère qui emploi la narratrice et pour l’autoradio qui lui permet d’écouter ses morceaux préférés de musique pour décompresser lors de ses trajets. De même dans L’histoire quand Ingmar Magda qui souhaiterait étudier l’histoire et la littérature à l‘université pour intégrer l’enseignement supérieur s’en ouvre à sa conseillère de Pôle-Emploi qui résume ainsi la longue intervention de cette Roumaine aussi fantasque que cultivée et déterminée dont l’allure « reniflait la misère (...et) en retour, lèvres pincées, menton tendu, affichait une mine de princesse » : « L ’infirmière ne voulait plus panser. Elle voulait être payée pour penser ». Le jeu continue avec les images et les clichés avec toujours un pas de côté : « Aujourd’hui, elle faisait penser à un gâteau à la crème, doux, volumineux et fragile et, cerise sur le gâteau, cette odeur d’alcool flottant autour d’elle. » (Nouchka), « Il y a des gagnants et des perdants. Je ne sais plus où je suis. Il paraît que ça dépend de moi, la réussite. La nuit, je réveille en sursaut. Je te demande si j’ai gagné. Tu réponds que nous ne jouons pas. » (C’est après ou avant). Même si, comme le dit l’éditeur en quatrième de couverture, « À ce jeu, c’est rarement le plus précaire, le plus inadapté, le plus faible qui gagne », cette vivacité, cet humour, cette curiosité généreuse de l’autre, ne laissent ici aucune place à la condescendance ou à la pitié. Ces invisibles, ces « héros non adoubés, harangueurs déplumés, arrogants parias, rêveurs atterrés, bêcheurs sans terre, déprimés radieux, insignifiants génies, bâtards, poussières », comme l’auteure les nomme dans son prologue, parviennent ici à trouver, par instants, une fulgurante et lumineuse beauté. L’émotion est au rendez-vous. De ce tableau sensible et fort d’un monde du travail qui a perdu sens et valeur, de cette fresque d’exclus de la rentabilité et de la compétition qui se cognent aux portes fermées, de cette courageuse initiative pour changer notre regard sur ces autres éjectés du jeu ou exilés qui sortent du cadre et ne sont jamais sur la photo, le lecteur ressort écartelé entre la tendresse et la colère, plus riche et plus averti, peut-être, qu’il ne l’était. Dominique Baillon-Lalande (11/10/21) |
Sommaire Lectures Rhubarbe (Août 2021) 84 pages - 9 €
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