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Pascal RUTER

À tire d’elle - 1973


Solweig, la narratrice, est en classe de seconde et ce roman a la forme d’un journal tenu mois par mois pendant une année scolaire, de septembre 1973 à juin 1974. La jeune fille y raconte ses hésitations, ses interrogations, ses étonnements, ses enthousiasmes, ses révoltes…
Beaucoup d’adolescents s’y reconnaîtront !

Elle est consciente qu’avec cette entrée au lycée sa vie est en train de changer mais elle n’a aucune idée du sens qu’elle va prendre. « Je ne comprenais toujours pas pourquoi je ne parvenais pas à me faire davantage confiance, ni à envisager l'avenir sereinement, de façon concrète, en essayant par exemple de construire des projets qui me tiendraient à cœur. »

Il faut dire que beaucoup de choses changent autour d’elle et que c’est très déstabilisant.
À commencer par son meilleur ami, Valentin, qui ne sera plus à ses côtés. Ils se connaissent depuis la maternelle mais, cette année, il est orienté vers une section mécanique dans un lycée technique. Solweig adore être avec lui, pour écouter de la musique (surtout Jefferson Airplane) et se balader en mobylette. Valentin joue de la guitare dans un groupe qui s’appelle Les Néfastes et pratique le vélo à haute dose pour devenir champion cycliste. Tout cela est bien plus important pour lui que la mécanique. La relation entre eux est ambiguë. Amicale, fraternelle, amoureuse ? Ils sont bien lorsqu’ils sont ensemble et ne se posent pas cette question. Du moins, ils ne se la posaient pas jusque-là. Mais Solweig, maintenant, se prend parfois à y réfléchir…

Parmi les changements, il y a eu la séparation de ses parents. Elle vit avec sa mère alors que son père est allé s’installer avec Dolores, une femme plus jeune que lui. Tous les vendredis, Solweig va passer la soirée chez son père. La relation avec Dolores est étrange. « Parfois je lui vouais une haine violente, j'aurais alors voulu trouver quelque chose pour lui faire du mal, et d'autres fois elle me laissait totalement indifférente. » Le père ne fait rien pour rendre la situation plus claire et supportable. « Comme Dolores était plus jeune qu'elle, maman était persuadée qu'on était de grandes copines, et papa entretenait cette idée. Il disait toujours : "On a fait ceci tous les trois", ou : "Solweig et Dolores ont voulu aller là." Il avait même été, un jour, jusqu'à nous offrir un pull identique pour que maman pense qu'on s'échangeait nos affaires. Il cherchait tellement à la contrarier que je me demandais s'il ne l'aimait pas encore. Au moins un peu. »

Avec sa mère, aussi, la relation s’est distendue. Ce ne sont pas des reproches que sa mère lui adresse, juste un constat d’éloignement : « Ce n'est pas très drôle d'être seule presque tout le temps, à penser au passé, justement au moment où on a le plus de temps libre. Toi, je ne te vois presque plus, tu te débrouilles sans moi, bientôt tu n'habiteras plus là, tu reviendras peut-être de temps en temps le week-end... » Pour Solweig c’est la fin d’une époque : « J'ai senti que quelque chose entre nous était irrémédiablement brisé. »

Autre surprise de cette rentrée scolaire, son amie Julie a beaucoup changé. Elle a fait l’amour pendant les vacances avec un moniteur de voile. Entre elles aussi, c’est la fin d’une époque. Julie ne pense qu’aux garçons alors que Solweig n’en est qu’aux interrogations, aux hésitations, à la fois attirée et effrayée.

Découverte de l’amour mais aussi de la mort. Son oncle est alcoolique, sous tutelle, totalement détruit par la disparition de sa petite amie trente ans plus tôt, arrêtée, déportée, jamais revenue…
Solweig entretient aussi une relation particulière avec son professeur d’histoire. Là encore il y a le souvenir d’une mort qui ne cesse de hanter le présent.

En arrière-plan, on ne peut évacuer complètement le contexte historique, la campagne électorale qui oppose Giscard d’Estaing et Mitterrand pour le second tour de la présidentielle organisée en urgence après la mort de Georges Pompidou et les inquiétudes autour de la situation économique. « En quelques mois, le monde était devenu grave et angoissant. Il était presque impossible d'échapper à des mots que nous connaissions à peine tels que "crise", "chômage", "choc pétrolier", qui nous devinrent familiers. Nous ne savions pas si c'était le monde qui avait brutalement changé ou nous, mais les années qui nous attendaient nous faisaient peur. »

Solweig est confrontée à un bouleversement de sa vie dans tous les domaines, à des situations totalement nouvelles, à des choix face auxquels elle se sent désarmée, à une alternance de bonheurs et de dégoûts, à une perte de repères qu’il va falloir peu à peu remplacer, à une existence qu’il va falloir construire, à ce fascinant et effrayant moment de sa vie où tout se termine et où tout commence…
Un livre qui montrera aux jeunes lecteurs qu’ils ne sont pas seuls à se sentir troublés ou perdus pendant ce passage obligé entre l’enfance et l’âge adulte, une épreuve qui peut se révéler douloureuse mais dont on doit sortir grandi. Un dernier chapitre intitulé Etc. nous apprend où en est Solweig dix ans plus tard…

Serge Cabrol 
(06/04/20)    



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Jeunesse







Pascal RUTER, À tire d’elle 1973
Actes Sud Junior

(Mars 2020)
208 pages - 14,90 €

Version numérique
10,99 €










Pascal Ruter,
né en 1966, a déjà publié de nombreux ouvrages pour la jeunesse.