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Jacques PIMPANEAU

En quête d’Azalée

Jacques Pimpaneau est un sinologue distingué, aussi connaisseur de l’histoire de l’art chinois que de la littérature, la philosophie, la religion et l’histoire de la Chine ancienne.

Dans son préambule, il prétend traduire ici un manuscrit du XIème siècle écrit par un lettré chinois. Ce manuscrit est l’enquête qu’il mena après la mort d’Azalée auprès de tous ceux qui purent la croiser. Il a pu admirer les peintures de cette artiste et a recueilli ses carnets dont il reproduit de larges extraits pour lui donner la parole.

Le lecteur a bien sûr la possibilité de croire à cette mise en scène, mais la modernité du mode de vie d’Azalée, de ses peintures, de ses goûts poétiques, de ses idées m’a incitée à ne pas en être dupe. Par contre, j’ai beaucoup aimé ce personnage – réel ou fictif – d’une personnalité bien trempée, d’une magnifique ouverture d’esprit, sans préjugé ou capable de s’en déprendre, d’une totale liberté de vie et de pensée.

La construction de cette enquête est d’une grande habileté et efficacité ; chacune des rencontres du lettré avec les personnages qui ont connu Azalée, qu’ils soient médecin, servante, bonze ou mendiant permet de mettre à jour un pan de sa vie et de son caractère.

Azalée est la fille unique d’un haut dignitaire à la retraite qui l’élève comme un garçon, lui donnant une éducation parfaite. « Tous les matins, il lui apprenait à lire les Classiques, des recueils de poèmes, des livres d’histoire, des recueils d’essais et d’anecdotes. » Il lui fait donner des leçons de peinture par un maître qui admire son talent et l’encourage à poursuivre son apprentissage. Son père aurait aimé la marier mais Azalée veut se consacrer entièrement à l’art : « Je ne veux pas d’un homme qui viendra m’imposer sa volonté, je veux rester libre, indépendante. »

Azalée aime voyager pour découvrir des paysages nouveaux, mais voyager seule quand on est une fille est trop dangereux. Elle demande à un élève peintre de l’accompagner mais lui précise qu’il doit garder ses distances. Pour Azalée, c’est l’occasion de dessiner de nombreux croquis des montagnes qu’ils gravissent et de bavarder avec les moines des monastères taoïstes ou bouddhistes qui les hébergent.

En matière de religion, Azalée est agnostique et les rites lui font horreur. « Pourquoi ces cérémonies pour expulser des démons ? Chacun a les démons qu’il mérite. Ils sont les enfants de notre esprit et il n’y a pas de quoi avoir peur de leurs facéties. » Mais elle se constitue une spiritualité personnelle en dehors de toute religion.

Elle est fascinée par le spectacle de la mer, des vagues qui se fracassent sur les rochers, explosant en nuages d’écume. « Comment peindre ce phénomène si violent, chaque fois différent, ce feu d’artifice sans fin formé par la mer ? »

Dans ses carnets, Azalée note ses réflexions sur la peinture qui doit « traduire le souffle de la vie présent dans le cosmos et dans tout être vivant, plantes comprises. » La poésie comme la peinture doivent transcrire la vérité sous-jacente à la réalité.

Elle y raconte des anecdotes amusantes, comme celle du portrait d’un vieil homme commandé par son fils. Elle demande à observer ce père pour le saisir dans sa vérité. Le fils accepte car il veut un portrait ressemblant. Après avoir perçu que cet homme avait la nature d’un aigle ou d’un faucon dans ses relations avec son fils et ses domestiques, elle lui peint des yeux de rapace, car le regard est le plus instructif sur la personnalité. Le fils admire la ressemblance : « J’ai l’impression qu’il me regarde comme quand nous sommes seuls » et le père « ravi montrait son portrait à tous les visiteurs en faisant l’éloge de mon talent. (…) Il était fier d’être un rapace. »

Pendant quelques années, la folie s’empare d’Azalée sous forme d’un démon qui lui parle ; c’est alors qu’elle peint des fantômes, des êtres fantastiques, des dragons, des phénix, des hommes à tête de chien. Comme elle est critiquée, elle rétorque : « Je ne peins pas pour plaire mais pour ouvrir les yeux sur une autre réalité, le monde de nos rêves, de nos visions. »

L’enquête du lettré permet aussi de découvrir des personnages hauts en couleur, comme le chef des mendiants, un muletier, ou encore un préfet, un herboriste, une courtisane et tous ces personnages ont une solide véracité sociale et historique.

Tandis que le lettré qui a recueilli ces témoignages tombe amoureux d’Azalée, le lecteur à son tour, succombe au charme de cette artiste insoumise et visionnaire.

Nadine Dutier 
(14/02/20)    



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Picquier

(Février 2020)
144 pages - 14 €













Jacques Pimpaneau
est spécialiste de langue et civilisation chinoises.

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