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Christophe PERRUCHAS


Sept gingembres


« Je m'appelle Antoine, je vis depuis quelques semaines au milieu du 14e arrondissement de Paris, dans cet endroit que j'ai toujours regardé avec fascination avant d'avoir à y dormir. L'hôpital Sainte-Anne ne comporte plus aujourd'hui que deux pavillons dédiés à l'accueil permanent. Quand les promenades m'étaient encore permises, il m'arrivait de marcher sans but entre les différents bâtiments, d'imaginer Antonin Artaud, la mèche corbeau, le profil coupant, drapé dans un pardessus de gros tissu sombre, enjamber les buissons, Antonin Artaud, à qui parlait-il ? À la petite Germaine, sa petite sœur morte, étranglée à l'âge de sept mois ? À un public de théâtre qui cherchait l'esclandre ? À lui seul ? »

Voilà comment nous rencontrons Antoine qui, au fil du roman, nous présentera ses remarques sur le fonctionnement de la psychiatrie car il viendra y voir un ami, Paul, interné lui aussi à un autre moment.
L’hôpital psychiatrique est un lieu bien particulier où se jouent beaucoup d’enjeux. 
« Le service au réfectoire est le résultat d'une négociation entre les personnels, en sous-effectif, et les représentants des familles, assistés d'organisations pour la dignité en milieu psychiatrique. Un arrangement qui sort du légal. De l'humain pour compenser la bureaucratie, l'alternative fragile aux journées entières passées entre quatre murs, à deviner les crises, à se parler par les bouches d'aération. »

Lors de ses visites à Paul, Antoine rencontre Didier Dugain, un gilet jaune hospitalisé, prof d’histoire dans le quatorzième, qui lui parle de multiples sujets de revendications et de luttes. Il évoque aussi Ambroise Croizat et il considère que c’est inadmissible de ne pas parler de cet homme tourneur-fraiseur devenu ministre dans le gouvernement du Général de Gaulle. Cégétiste et communiste, il a été emprisonné sous Pétain. Il a joué un rôle dans la création de la sécurité sociale mais personne ne parle plus de lui. C’est un oublié de l’Histoire.

Antoine est loin de tout cela car il travaille dans une agence de publicité. Sa relation avec les femmes est très ambiguë. Il n’en a pas vraiment conscience. Il se cherche toujours des excuses mais la réalité et la parole des femmes qui va se libérer le mettront face à son problème. Il harcèle les femmes et, de son point de vue, il ne trouve pas cela choquant.

Nous naviguons entre le dedans et le dehors de l’hôpital psychiatrique et suivons le parcours d’Antoine, marié et père de deux enfants, très occupé par son travail et ne s’interrogeant pas suffisamment sur ses comportements. C’est donc une analyse de l’intérieur d’un prédateur sexuel englué dans un monde complexe où il finit par perdre tous ses repères.
De multiples contradictions et problématiques sont évoquées dans ce roman : la psychiatrie, les revendications sociales, le rôle des différentes technologies, l’engrenage du fonctionnement professionnel dans les entreprises, les relations hommes/femmes, ce monde actuel très particulier où les humains peinent à trouver un équilibre constructif.

« Nous sommes plusieurs, dans ce bar, en bas de l'agence. Un petit aquarium de ce qui se passe quatre étages plus haut. Des trentenaires qui se haïssent, un ou deux quadras, perdus au milieu du bruit, et une seule quinqua, la directrice administrative et financière, à croire que pour durer, il faut côtoyer l'argent, les montages, les combines, tout savoir, être la mémoire intouchable, celle qu'on ne peut déboulonner sans faire pencher l'édifice. Le reste, la vision d'entreprise, la partie créative, c'est le vernis, ce qui rend présentable ; interchangeables dès qu'ils sont cramés, certains de ces quadras ont peur, ça se voit sur leur visage, la peau qu'on dirait plus vieille de dix ans, jaune, plus fine, il y avait une date limite de consommation, ils le découvrent quand c'est déjà trop tard. »

Le roman se construit par petites touches. Les pressions multiples de la société désagrègent elles les humains ? Voici un regard pertinent sur le monde actuel. 

Brigitte Aubonnet 
(05/11/20)    



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Rouergue

(Août 2020)
Collection La Brune
224 pages - 19 €









Christophe Perruchas,

né à Nantes en 1972,
a travaillé dans des
agences de publicité.
Sept gingembres
est son premier roman.