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Alain MABANCKOU

Rumeurs d’Amérique


Rumeurs d’Amérique est le premier livre que l’auteur consacre aux États-Unis, pays où il vit depuis 2002.
Cet essai fourmille d’anecdotes issues de sa vie quotidienne, de ses relations avec ses voisins, ses étudiants, de l’actualité, de personnages illustres comme Cassius Clay, Toussaint Louverture, dont les portraits, collés sur ses murs, lui donnent l’énergie d’écrire.

Il rend hommage aux écrivains et aux activistes qui « ont dessiné le visage d’une Amérique noire transfigurée par la lutte pour les droits civiques ». Il évoque Amiri Baraka, William Faulkner, Herman Melville, Mark Twain, John Steinbeck et ce que chacun de ces grands écrivains a apporté au lycéen qu’il a été. Peu importait que ces auteurs soient noirs ou blancs. « Je n’ai pas lu les auteurs américains en me demandant au préalable quelle était la pigmentation de leur peau, ni avec le désir de donner une couleur à ma vision du monde. »

Très souvent, il établit des ponts entre ce qu’il vit et observe aux USA et les croyances de la culture congolaise. À propos des régimes alimentaires végétariens ou vegan dont les Angelinos (habitants de Los Angeles) sont friands, il indique que « En Afrique, le règne végétal fait partie de la cosmogonie (…) dans la forêt congolaise, on n’abat pas n’importe quel arbre, de peur de trancher le cou à l’un de nos aïeux ».

À propos de la Maison de la Sorcière de Beverly Hills, objet de visite touristique ; « dans ma culture congolaise, ce genre de familiarités avec les fantômes sont proscrites ».

La campagne électorale qui oppose républicains et démocrates lui rappelle qu’en Afrique australe, le « républicain est une espèce de moineau qui édifie un nid collectif dans les arbres où se reproduiront plusieurs couples d’oiseaux. » Cet oiseau n’est pas payé pour sa contribution solidaire, il est animé par un élan naturel. « Le droit au logement, nos oiseaux africains en savent quelque chose. Et je me dis que les républicains américains devraient prendre quelques leçons chez leurs homonymes de l’Afrique australe. »

Il porte souvent un regard amusé sur ce qu’il observe ; son voisin ronchon, les frasques de ses amis, l’élégance vestimentaire du club des Sapeurs (ceux qui se « sapent » bien), ou sa surprise de découvrir dans une grande librairie, le livre qu’il a consacré à James Baldwin, Lettre à Jimmy, au rayon de la littérature gay. La vendeuse explique que tous les livres de et sur Baldwin sont classés naturellement dans la littérature gay. Il finit par s’intéresser au sport le plus prisé à Los Angeles : le basket avec son équipe mythique des Lakers. Il semble que pas un seul domaine ne lui est étranger, ni le rap américain, ni l’émotion causée par la mort d’un romancier afro-américain. Ce qui peut sembler futile comme la promenade de son chien au parc voisin, devient sujet d’étude et d’amusement. Ce regard amusé, il le communique aux lecteurs.

Mais il y a aussi des pages plus sombres. Celle qui raconte l’exécution d’un rappeur en pleine rue par une bande rivale. L’émotion des Afro-Américains de Los Angeles est telle que cela provoque un attroupement dans le quartier, vite découragé par les gaz lacrymogènes des policiers. Ou l’annonce de la mort de celles ou de ceux qu’il a connus jadis. L’une d’elle avait été étonnée qu’en France les Noirs ne se saluent pas lorsqu’ils se croisent, « contrairement aux Noirs américains, qui par un signe complice de la tête ou du regard, réaffirment leur appartenance à un peuple dont le passé incite à poursuivre la lutte contre les injustices de plus en plus subtiles. »

C’est un livre qui me réconcilie avec l’Amérique, pays où tant d’exilés ont fait la fierté de leur nation, où tant de descendants de migrants font le cinéma d’Hollywood. Comme tant d’écrivains qui ont élu domicile hors de leurs frontières, Alain Mabanckou écrit sur « son Amérique » depuis son balcon californien « où la vue porte loin, jusqu’aux bistrots du quartier Marx-Dormoy à Paris, jusqu’à la maison en planches de sa mère, à Pointe Noire ».

Nadine Dutier 
(03/09/20)    



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Lectures








Plon

(Août 2020)
256 pages - 19 €









Alain Mabanckou,
né en 1966 au Congo,
a publié une trentaine d’ouvrages, traduits dans une vingtaine de langues et reçu plusieurs prix
dont le Renaudot pour
Mémoires de porc-épic.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia







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