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LIU Zhenyun

Un parfum de corruption


Plusieurs histoires se succèdent et s’entrecroisent dans ce roman plein d’aventures et de rebondissements qui nous fait voyager au cœur de la Chine contemporaine, de ses paysages et de son administration.

La première histoire est celle de Niu Xiali, ouvrière dans une usine de confection, qui s’est fait escroquer dans une sombre histoire de mariage. Elle a dû emprunter une grosse somme d’argent, cent mille yuans, environ dix ans de son salaire, afin de trouver une épouse pour son frère, et quand elle comprend, quelques jours plus tard, que l’argent s’est envolé avec la dulcinée, elle entre dans une terrible colère.
Décidée à retrouver cette femme, coûte que coûte, elle va traverser plusieurs régions et parcourir quatre mille kilomètres en bus de longue distance et en train.
Une question la taraude et nourrit sa rage : « La première fois que je l’ai vue, je l’ai prise pour une fille honnête, comment a-t-elle vu que j’étais si sotte ? Oui, je l’ai prise pour une fille honnête, et elle s’est payé ma tête, si je ne suis pas une imbécile, alors je suis quoi ? »
Malheureusement, elle va se poser plusieurs fois la même question parce que, malgré la douloureuse expérience qu’elle est en train de vivre, elle ne peut s’empêcher d’accorder sa confiance aux femmes qu’elle rencontre et cela va lui attirer quelques désagréments…

Au bout d’une centaine de pages, nous quittons Niu Xiali (nous la retrouverons plus tard) et nous rencontrons Li Anbang, un cadre du parti communiste qui exerce une importante fonction dans l’administration. Originaire de la campagne, il a réalisé un brillant parcours depuis sa sortie de l’université sans pouvoir toujours éviter les rivalités et les inimitiés. Si l’on ajoute les difficultés qu’il rencontre avec sa femme et son fils, la vie se révèle parfois un peu compliquée.
Par un jeu de mutations, un poste de gouverneur de la province se trouve vacant et le comité central doit choisir parmi trois noms.
« Dans ce pays à quoi cela servait-il que la nomination d'un haut fonctionnaire corresponde à la volonté populaire ? Qu'il fût ou non promu gouverneur de cette province n'avait aucun rapport avec les aspirations du peuple, mais uniquement avec le bon vouloir du gouvernement central. »
Le comité central du Parti a décidé d’envoyer une cellule d'évaluation pour choisir le fonctionnaire le plus apte à devenir un bon gouverneur régional.
Li Anbang veut mettre toutes les chances de son côté pour séduire la commission mais le mieux est parfois l’ennemi du bien et à trop vouloir en faire on peut risquer de tout gâcher.
Face aux obstacles imprévus qui se dressent sur sa route, il est amené à consulter un maître taoïste qui lui donne un étrange conseil pour conjurer le sort et résoudre ses difficultés…

La troisième histoire nous plonge encore plus profondément dans l’univers de la corruption avec Yang Kaituo, directeur de l’administration routière, responsable de la construction des routes et des ponts du district. L’explosion d’un camion sur un pont va précipiter Yang Kaituo sous les feux des projecteurs et dans la folie médiatique des réseaux sociaux.
Dans le domaine des travaux publics, il est difficile de faire confiance à quiconque et une épée de Damoclès est toujours suspendue au-dessus de la tête des fonctionnaires : le conseil de discipline. « Cela signifiait que l'on était mis à l'isolement pour une investigation fouillée, "séparer pour vérifier" disait-on. Cette mise en examen prouvait que vous aviez des problèmes, ou tout au moins que l'on soupçonnait que vous aviez des problèmes. Quant à savoir quels étaient ces problèmes, les faits seraient établis par la commission centrale de la discipline une fois la garde à vue passée. » On pense au Procès de Kafka. Une fois entré dans l’engrenage…

Une dernière histoire nous fait partager les émotions de Ma Zhongcheng qui vient d’être nommé directeur adjoint du département de la protection de l’environnement. Il souhaite fêter cette promotion avec sa femme et ses enfants mais une proposition malhonnête le conduit vers une maison de prostitution. Mal lui en prend. Il frôle la catastrophe et vit la plus grande frayeur de son existence.

Les personnages se croisent ici ou là, bien sûr, et on prend beaucoup de plaisir à suivre leurs aventures (et surtout mésaventures) qui nous permettent de découvrir de l’intérieur l’organisation et le fonctionnement de la Chine d’aujourd’hui.
Un parfum de corruption flotte dans ces histoires, contredisant notre maxime selon laquelle « l’argent n’a pas d’odeur ». Ici, il en a une et c’est souvent celle de la peur qui peut faire perdre la tête au sens propre comme au sens figuré…
Passionnant et plein d’humour, ce roman a des allures de livre de contes, pour adultes et très actuels. Un auteur à suivre.

Serge Cabrol 
(20/04/20)    



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Gallimard

(Février 2020)
352 pages – 22,50 €

Disponible en
version numérique




Traduit du chinois par
Geneviève Imbot-Bichet









Liu Zhenyun,
né en 1958 dans la province du Henan, est journaliste et écrivain. Un parfum de corruption est son cinquième roman
paru chez Gallimard.



Bio-bibliographie,
en français,
passionnante
et très détaillée,
sur le site :
www.chinese-
shortstories.com