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Un homme trahi, trompé, désespéré, lâche prise, abandonne tout derrière lui et part sur les routes, vagabond sinistre qui refuse de parler avec les gens qu’ils rencontrent, quand bien même ils se montrent accueillants et généreux. C’est l’errance de ce personnage effondré que nous propose l’auteur, la visite de tous les lieux où il trouve refuge et la découverte des êtres, parfois étranges, qui lui offrent le gîte, le couvert ou simplement un peu de réconfort. Nous sommes en Algérie en 1963, un an après l’indépendance du pays. Adem, un instituteur, voit sa vie bouleversée par le départ de sa femme, Dalal, qui a choisi de le quitter pour un autre homme. Trop abasourdi pour chercher à comprendre, il ne sait pas comment réagir et sa violence ne fait que conforter Dalal dans son désir de liberté. D’un seul coup, pour lui, tout s’écroule, il est anéanti. Parmi les personnages qu’il croise, l’un d’eux va jouer un rôle plus important, sorte d’ange gardien se trouvant toujours là quand Adem est en mauvaise situation. Il s’appelle Mika, un nain accueillant et toujours prêt à rendre service qui l’invite dans la casemate qu’il s’est aménagée. « Un groupe de maquisards l’occupait durant la guerre. Elle leur servait d’habitation et de poste d’observation. Aujourd’hui, elle est à moi. C’est mon palais d’été. » Mika est aux petits soins pour son invité, le soigne et le nourrit, mais il ne cesse de bavarder et philosopher, ce qui a le don d’irriter profondément Adem en quête de solitude et de silence. Après chaque rencontre, Adem reprend la route dès qu’il est à nouveau en état de marcher. Un autre épisode est révélateur de ces périodes où un nouveau pouvoir se met en place et où certains confondent le bien public et leur intérêt personnel, comme une revanche sur le passé, la misère ou l’injustice qu’ils ont connue. C’est le cas de Ramdane Bara, « commissaire politique, trente et un ans, le costume taillé sur mesure et les yeux embusqués derrière des lunettes de soleil ». « Il ne s'appliquait qu'une règle : s'emparer de tout ce qui était à prendre. » « Ramdane Bara ne se refusa rien : il rêva de l'adolescente d'un riche négociant de Nedroma et obtint sa main en forçant celle du père, s'appropria la villa d'une veuve qu'il délogea manu militari sous prétexte que son mari collaborait avec l'administration coloniale et s'adjugea, dans la foulée, deux caves viticoles à Rio Salado, une station de lavage à Aïn Témouchent et un débit de boissons à Henaya. » Chaque étape de l’errance du mari bafoué, chaque rencontre, est l’occasion de réfléchir, confronter des points de vue, se quereller, et s’enfuir à nouveau, sans autre but que la solitude. Ainsi, lorsqu’il accepte, chose rare, de raconter une partie de son histoire à Tayeb, un berger, l’incompréhension prend vite le dessus et la discussion s’envenime. Adem paraît parfois ouvert et compréhensif mais ce n’est pas toujours le cas. Yasmina Khadra nous offre ici un voyage dans le temps et l’espace mais aussi dans la conscience d’un homme blessé, trompé, abattu, effondré qui a choisi la fuite et l’errance pour faire le vide et peut-être se reconstruire, un homme à la fois révolté contre l’univers et critique envers lui-même, un homme qui ne sait plus où il en est, ni ce qu’il doit croire, un homme qui rejette toutes les mains tendues sans pouvoir sublimer complètement son profond besoin d’amour. Jusqu’aux dernières pages, le lecteur se demande où ce voyage va bien pouvoir mener Adem. Au bout de la nuit, sans doute. Mais seule la fin révèle si le soleil se lèvera à nouveau. Serge Cabrol (01/10/20) |
Sommaire Lectures Julliard (Août 2020) 256 pages – 19 € (Septembre 2021) 288 pages – 6,95 €
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