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Fernando A. FLORES


Les larmes du cochontruffe


Ce roman nous emmène au Texas, à la frontière avec le Mexique, dans un futur proche où, si on laisse faire Trump et ses émules, un double mur longera le Rio Grande sur ses deux rives le transformant en canyon tandis que des chars et des patrouilleurs contribueront à la rendre infranchissable.
Une grande famine a éliminé un cinquième de la population mondiale et les cartels mafieux se livrent une guerre acharnée. La légalisation de la drogue les a conduits à se lancer dans de nouveaux trafics comme le filtrage et les tzantas pour fournir à ceux qui disposent de fortunes colossales des produits hors de prix qui vont enrichir leurs collections ou leur gastronomie.
Le filtrage consiste à recréer des animaux disparus. Les sciences ayant fait de grands progrès dans les domaines de la modification génétique, du clonage et autres cultures de cellules, il est devenu possible de créer ou modifier à la demande toutes sortes d’animaux. Dans un premier temps, les gouvernements ont autorisé le filtrage pour endiguer la famine mais les mafieux ont vite compris qu’il existait une demande plus spécifique et rémunératrice d’animaux rares pour les happy few désireux de se constituer un zoo, concocter des repas exceptionnels ou produire des matières premières comme de l’ivoire ou des fourrures.
Les tzantas sont des têtes d’Indiens coupées et réduites, à la manière des trophées conservés par les Jivaros. La demande étant forte et les riches collectionneurs nombreux, il ne fait pas bon avoir une tête d’Indien et des charniers de Mexicains décapités sont fréquemment découverts.
La guerre entre les gangs s’est amplifiée autour de ces activités. « Les trois principaux cartels – Los Mil Condes, Sindicato Unidos, Los Pacificos – n'hésitent plus à mutiler, décapiter, écorcher, estropier, torturer, violer, prostituer, brûler, piller, voler et falsifier pour ravir des parts de marché à l'empire de Pacheco et du Sindicato Casablanca. » Et la mort du plus puissant parrain, Pacheco, dévoré par ses autruches bleu-brun, ne fait qu’exacerber les désirs de s’approprier son empire et contrôler ses réseaux.

C’est dans cette atmosphère de tensions et de violences que nous suivons Bellacosa, né en Amérique (on ne parle plus des États-Unis) de parents mexicains, ce qui lui permet de passer la frontière facilement dans les deux sens. Il cherche à vivre tranquillement hors de la guerre des cartels. Il survit à un double deuil très douloureux. Sa fille atteinte d’une maladie dégénérative du sang est morte très jeune et sa femme a décliné dans les mois qui ont suivi pour mourir à son tour. Son frère, Oswaldo, avait à l’époque une belle situation mais quand Bellacosa était venu le trouver pour lui demander une aide financière pour les médicaments susceptibles de prolonger la vie de sa fille, il avait refusé d'avancer le moindre sou « car il devait payer les leçons de musique et d'anglais de ses deux fils ainsi que les traites de la voiture, et il avait des créances à honorer ».
Plus tard, lorsque la crise économique a frappé, Oswaldo a été ruiné, sa femme a demandé le divorce, ses enfants sont partis. Il s’est retrouvé seul. Et voilà maintenant qu’il a été kidnappé. Par qui ? Pourquoi ? Bellacosa n’en sait rien et malgré la rancune qu’il conserve envers son frère, il va tout faire pour en savoir plus. Nous allons le suivre dans une quête qui n’est pas sans danger.

Dans un bar, Bellacosa rencontre un journaliste, Paco Herbert, qui enquête sur les trafics d’animaux filtrés. La rédaction du journal où travaille Paco lui a obtenu, à prix d’or, une invitation pour un dîner gastronomique clandestin. L’invitation est valable pour deux personnes et Paco propose à Bellacosa de l’accompagner. Désabusé mais toujours curieux, et n’ayant pas grand-chose d’autre à faire dans son existence de veuf mélancolique, Bellacosa accepte de participer à ce repas aussi surprenant que le décor où il se déroule et les personnes qui y participent. C’est là qu’il découvre pour la première fois un cochontruffe vivant qui pleure des larmes blanches comme le lait…

Les enquêtes de Bellacosa cherchant son frère (mais aussi un engin de chantier qu’il devait livrer à un client et qui a disparu) et celle de Paco sur le trafic d’animaux filtrés nous immergent dans un univers frontalier violent et dans un monde dépourvu d’humanité qui pourrait bien être celui de demain si rien n’est fait pour enrayer les processus en marche.
Bellacosa est un beau personnage de roman noir, prêt à tout parce qu’il n’a plus rien à perdre, et son amitié avec le journaliste passionné désireux de ne pas manquer son scoop crée une dynamique qui entraîne le lecteur dans une aventure mouvementée aux multiples rebondissements mais aussi dans une réflexion sur les dangers de certaines pratiques se développant dans la clandestinité, hors de tout contrôle. Un roman noir puissant et original dans une atmosphère de traditions indiennes dévoyées par les dérives mafieuses.

Serge Cabrol 
(02/11/20)    



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Noir & polar










Gallimard
La Noire
(Septembre 2020)
336 pages - 20 €

Version numérique
14,99 €

Traduit de l'anglais
(États-Unis)
par Paul Durant













Fernando A. Flores,

né au Mexique, est arrivé aux États-Unis à l'âge de cinq ans, quand ses parents se sont établis au Texas du Sud. Poète et nouvelliste, Les larmes du cochontruffe est son premier roman.