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Gérard Fulmard, ancien steward, a été licencié pour faute grave avec une peine assortie d’un sursis et une obligation de soins deux fois par mois dans un institut médical conventionné auprès d’un psychiatre nommé Jean-François Bardot, toujours silencieux, vêtu de costumes sur mesure et roulant dans une Audi Q2. Jean Echenoz enchaîne des tableaux et des situations plus qu’il ne décrit ses personnages. Gérard Fulmard, le narrateur, est un antihéros désœuvré et dérisoire, un irrémédiable perdant qui se rêve gagnant alors qu’il ne connaît pas les règles du jeu et ne comprend rien au monde qui l’entoure. Quand ce nouvel emploi va l’embarquer à partir d’une succession d’événements dans une intrigue politico-judiciaire dont il n’a aucune clé, il semble évident que ce naïf, qui par simple besoin financier et par peur exécute les ordres d’une organisation avec laquelle il n’a même pas d’accointance particulière sans se poser la moindre question, n’a que peu de chances à moins d’un miracle ou d’une convergence de hasards extrêmement favorables de s’en sortir. Gérard n’est qu’un benêt instrumentalisé par un groupe d’individus qui maquillent leur goût du pouvoir et de l’argent en idéal politique tout en se livrant à une compétition sans merci. Si le lecteur peut sentir par instant chez Jean Echenoz un peu de tendresse pour son narrateur aux moyens limités, ce n’est absolument pas le cas pour les Tourneur, Chanelle, Terrail, Delahouère, Ballester, Pannone et compagnie, qui ne sont ici que des caricatures illustrant la médiocrité du jeu politique, des manipulateurs de bazar, des ambitieux sans scrupules, ridicules et sans envergure mais néanmoins dangereux et nocifs pour les autres et pour cela même croqués sans complaisance aucune. Ils ne servent ici qu’à faire contexte, qu’à permettre au scénario d’avancer au rythme de leurs choix et décisions plus malhonnêtes les uns que les autres mais facteurs des événements qui structurent le récit. Et si la FPI par son népotisme structurel, son populisme affirmé, les sombres magouilles financières et les rivalités personnelles qui l’agitent, n’est pas sans faire penser à un certain Rassemblement National, l’auteur semble à travers son petit parti imaginaire se moquer plus généralement de la médiocrité et des dérives de l’ensemble du monde politique et du rapport malsain que celui-ci entretient avec les médias qui se repaissent de leurs gestes et déclarations, qu’il ne se livre à une critique idéologique. Gérard Fulmar d’imbécile devient dès lors innocente victime et ceux qui le manipulent une bande de sinistres salauds ordinaires. Mais si la Vie de Gérard Fulmard possède de nombreux ingrédients du polar, le fait qu’il remplace ici l’arrière-plan de critique sociale et politique ordinairement présent dans ce genre littéraire par le choix d’une fantaisie débridée, transforme ce roman en un objet composite en marge des catégories préétablies. Très vite la tension inhérente au polar se trouve ainsi parasitée par des événements burlesques, périphériques ou non à l’histoire même, comme les faits divers véridiques dont la rue Erlanger a été le cadre, du fictionnel plausible comme la chute d’un vieux satellite russe à l’heure où les déchets de la colonisation accélérée de l’espace retombent régulièrement ou, peu probable, la présence d'un requin long de cinq mètres quarante et pesant une tonne et demie « affamé de chair, indifféremment animale ou humaine » (moins crédible) rôdant dans la mer de Flores au bord de laquelle Louise, Dorothée et Cédricont pris quelques jours de vacances. On rit bien plus ici qu’on ne frémit. Le goût du décalage, du détournement des codes et du second degré transforme le polar en farce comme si Jean Echenoz avait pris par la voix de son anti-héros (et en usant pour la première fois de la première personne) le parti d’emporter temporairement l’affligeante réalité de notre société et l’absurdité de la vie dans un tourbillon d’images, de mots avec un grand éclat de rire. « Arrive un temps où tout s'érode un peu plus chaque jour, là encore est l'usure du pouvoir : du royaume digestif à l'empire uro-génital, de la principauté cardiaque au grand-duché pulmonaire, sous protection de plus en plus fragile du limes fortifié de l'épiderme et sous contrôle bon an mal an de l'épiscopat cérébral, ces potentats finissent par s'essouffler. Il faut alors courir sans cesse de contrôle en examen, d'analyse en prélèvement, de laboratoire en officine, toujours en retard d'un expert en attendant le gériatre et, à plus ou moins long terme, le médecin légiste et son certificat. » Quand la maîtrise de la narration est parfaite, que la virtuosité stylistique s’impose d’elle-même et que le goût de la facétie de l’auteur s’y exprime de façon aussi franche comment ne pas succomber à ce petit récit parfaitement jubilatoire ? Un roman plein de rebondissements, irrésistiblement drôle, merveilleusement écrit et terriblement divertissant, un pur plaisir à ne pas laisser passer. Dominique Baillon-Lalande (24/06/20) |
Sommaire Lectures Éditions de Minuit (Janvier 2020) 240 pages - 18,50 € Version numérique 12,99 €
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