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Au bout de vingt ans. Un mot, et te voilà à nouveau dans ma tête. Comme si pas même une semaine ne s’était écoulée depuis ce jour où tu nous as tourné le dos, désertant notre amitié et notre vie après dix ans, aussi facilement que si nous n’avions été que de vagues connaissances. Le récit va se bâtir sur la vie au ralenti de l’expédition scientifique, coincée par la panne et la tempête, entre l’ennui du temps à tuer en attendant la fin du blizzard et l’angoisse d’échouer dans la mission, comme une page blanche qui permet à la narratrice de se souvenir de « Scott » et de faire remonter à la surface de tout ce blanc, la trinité soudée, qu’elle, son frère et leur amie ont formé, de la fin de l’enfance à la fin de l’adolescence. Nous roulions côte à côte, tout près, si près que nous entendions nos respirations, que nous aurions pu nous toucher si nous avions voulu. Jan, toi, moi. Nous étions si près que nous ne projetions qu’une seule et même ombre. Je la voyais rouler tranquillement à nos côtés, franchir sans peine les piquets des clôtures et les barrières, sans souci des obstacles. C’était nous. Une seule ombre, une seule âme. Tout était si simple. […] Et, en moi, cet élan de joie devant cet instant sans prétention et pourtant parfait, devant tout ce qui était, ce qui serait, ce que nous étions. Enfants, Hannah, son frère, Jan, et leur amie, Fred, jouaient aux explorateurs et reproduisaient la concurrence admirative qu’il y eut entre les expéditions du Norvégien Amundsen secondé par Wilson et celles de l’Anglais Scott qui mourut tragiquement avec ses compagnons sur la banquise. Après une enfance complice, une adolescence soudée et un voyage en France inoubliable, juste avant de prendre ensemble une colocation à Hambourg pour faire leurs études, la défection sans prévenir de Fred qui, d’emblée, petite fille, avait bien voulu endosser le rôle du héros malheureux, Scott, avait laissé Hannah seule devant un gigantesque « pourquoi » à ruminer pour la vie. J’ai remâché mes souvenirs sans rien trouver à me mettre sous la dent. Rien qui aurait indiqué pour quelle raison tu voulais nous oublier. […] Je t’ai déclarée morte. Hannah pensait avoir bien enfoui ce souvenir mais elle est bien placée pour savoir que les chagrins d’amitié font aussi mal que ceux d’amour et que… même la glace n’oublie rien ! Quelle patience de la glace à conserver l’instant de sa naissance, quelle ténacité à préserver le souvenir d’un jour neigeux et de ses bourrasques de vent ! Température, précipitations, gaz atmosphériques, micropolluants – strate après strate, année après année, emprisonnés et consignés dans la mémoire du climat. Telle est la chance du glaciologue : la glace n’oublie rien. Ou notre malheur à nous, pauvres humains… Ici, en tout cas, notre bonheur de lecteur, rarement métaphore n’ayant été traitée aussi subtilement, l’écriture et la lecture, comme un forage qui remet à jour non seulement le passé de la narratrice mais peut-être celui du lecteur et distille discrètement plein de pistes, d’explications possibles. Sylvie Lansade (11/03/19) |
Sommaire Lectures Slatkine & Cie (Février 2019) 192 pages - 20,90 € Traduit de l'allemand par Isabelle Liber
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