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En personnage presque plus qu’en décor ce kiosque parisien, rue de Flandre dans ce quartier alors populaire du XIXe arrondissement de Paris où Jean Rouaud travailla pendant sept années avant d’être reconnu pour son premier roman (Les champs d’honneur) par le prix Goncourt. Le kiosque à journaux où la clientèle était constituée pour une grande part d’habitués représentait à cette époque un élément important dans la vie du quartier. Certains y passaient même simplement comme antidote à leur solitude, pour sortir de chez eux et pouvoir échanger quelques mots. De ce défilé de gens souvent modestes Jean Rouaud fait une galerie de portraits diversifiée, pittoresque et sensible où les marginaux, les déracinés, les exclus, les rêveurs, timides ou grandes gueules, se succèdent. On y trouve un sosie d’Elvis Presley, un SDF surnommé "Chirac" parce qu’il attend que la Mairie de Paris lui donne un logement, un rescapé de la Shoah fidèle à son journal en yiddish, un Berbère serveur de bar à Pigalle retraité toujours de bonne humeur, un peintre maudit, deux "Yougos" qui s’évitent, un pronostiqueur hippique peu fiable, un chômeur blagueur et serviable lecteur deL’Huma-Dimanche, une jeune femme enceinte fascinée par Paris Turf... L'auteur nous les présente avec humour, avec respect pour leur détresse, avec indulgence pour leurs débordements et leurs mesquineries, avec tendresse pour la compréhension et l’entraide dont parfois ils font preuve sans l’afficher. Dans Kiosque, par l’intermédiaire des clients, c’est tout une tranche d’histoire de France qui se rappelle à nos mémoires quand Paris était encore populaire et coloré, quand y soufflait encore l’utopie libertaire et collective post-soixante-huitarde. C'est évidemment aussi l'histoire urbanistique de la capitale et ses transformations, avec notamment les grands travaux comme Beaubourg ou la pyramide du Louvre comme symboles d’une ère moderne qui ont fait couler beaucoup d’encre et plus encore de salive, qui, aux côtés des problématiques internationales et des nouvelles du quartier, se trouvent ici évoqués avec une mise en perspective sensible de l’Histoire. À part quelques souvenirs d’enfance assez peu nombreux, c’est par ses réflexions sur l’évolution de la littérature et du regard universitaire porté sur le roman, à travers un hommage à ses maîtres, en évoquant son amour absolu pour l’écriture et son aventure complexe avec elle, en nous dévoilant son cheminement intime de la poésie au roman, que Jean Rouaud fait place dans ce récit à sa passion. Cela est d’autant plus émouvant pour le lecteur qu’il y crée aussi un lien entre cet apprentissage fait du monde et des autres lors de son travail au kiosque et le positionnement tout à fait singulier, à la lisière de l’histoire et de la littérature, au point de rencontre entre les autres et lui-même, qu’il y a trouvé et dont il a ensuite fait sa marque. Kiosque, plus qu’un roman autobiographique centré sur l’auteur, est une photographie sociologique et historique des années quatre-vingt. C’est en observateur perspicace de ses contemporains, en rapporteur consciencieux d’une époque au bord des changements, en Parisien qui décrypte la capitale et l’évolution de la société à travers son urbanisme, que Jean Rouaud compose ici non une mais des histoires qui se conjuguent tout naturellement. Le kiosque se fait alors scène du monde, un petit théâtre à même la rue dévolu à l’actualité où l’histoire prend chair, un récit condensé d’humanité et le creuset d’une œuvre à venir. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Grasset (Janvier 2019) 128 pages - 12 € points (Mars 2020) 288 pages - 7,60 €
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