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Lionel DUROY


Nous étions nés pour être heureux


Tout le roman se déroule le temps d’un repas. Un déjeuner de retrouvailles. En 1989, le narrateur, Paul, a écrit un roman racontant son enfance entre la folie de la mère et l’existence chaotique du père. Il a envoyé son manuscrit à ses neuf frères et sœurs. Frédéric, l’aîné, lui a envoyé de longues lettres, l’insultant et le menaçant de couper toutes relations avec lui s’il publiait ce livre. Paul n’a pas cédé et le roman a paru, premier d’une longue série d’autofictions sur tous les événements importants de sa vie.

Trente ans plus tard, les frères et sœurs ont repris contact avec Paul et accepté de faire se rencontrer les enfants qu’ils ont eus et qui ne se connaissent pas.
L’année précédente, une première rencontre avait eu lieu. Comme une avant-garde de la fratrie, quatre de ses frères et un neveu étaient venus déjeuner chez lui dans sa belle maison du Vaucluse. Tout s’était bien passé et il était donc normal de passer à la vitesse supérieure.

Cette année, c’est toute la fratrie qui va se réunir, sauf Frédéric avec qui la relation est restée très conflictuelle. Beaucoup de souvenirs vont remonter à la surface, amusants ou douloureux, toujours émouvants. Des regrets et des questions aussi. Pourquoi avoir écrit ces livres ? Pourquoi les avoir publiés ? Paul est convaincu que sans l’écriture, il serait mort. Quant à la publication, il cherche une réponde acceptable.
Pourquoi ne se contente-t-il pas de remplir ses tiroirs de manuscrits, en effet ? Pourquoi ressent-il le besoin de les publier ? C'est une énigme qu'il n'a jamais pu éclaircir. « Je ne sais pas te répondre, Anne-Cécile. Pourquoi les peintres exposent-ils au lieu d'empiler leurs toiles dans une soupente ? Pourquoi les auteurs-compositeurs souhaitent-ils que leurs œuvres soient jouées ? Pour manger, sûrement, et moi aussi j'ai besoin de manger, et il a bien fallu que je nourrisse mes enfants. Mais je ne publie pas seulement pour manger, c'est certain. Écoute, je vais réfléchir à ta question et j'essaierai de te dire un truc un peu plus intelligent la prochaine fois. D'accord ? »

Paul comprend aussi que les uns et les autres n’ont pas le même regard sur leur enfance. Si certains la considèrent avec colère ou avec la fierté d’en être sorti, d’autres éprouvent surtout de la honte. Et c’est Béatrice qui l’exprime le mieux.
– Oh oui, bien sûr que j'ai honte ! Quand je me suis mariée et que peu à peu nous nous sommes fait des amis, j'ai pensé que personne ne saurait jamais. J'étais heureuse, notre nouvelle vie m'éloignait de tout ça. Nous allions élever nos enfants dans l'amour, le partage et la dignité. Et puis j'ai reçu ton manuscrit, je l'ai lu et il m'a fait l'effet d'une damnation, Paul, voilà, c'est exactement le mot, nous étions damnés : tout le monde allait de nouveau rire de moi, de nos parents, j'allais devoir traîner jusqu'à ma mort ces années grotesques, humiliantes – les expulsions, la folie de maman, papa et ses coups foireux, les huissiers, nos vêtements ridicules, les écoles qui nous mettaient à la porte parce que tous les matins nous arrivions en retard. Tout ce que je venais de construire de vivant, de joyeux, allait s'effondrer avec ton livre.

Au fil des heures, le bonheur de se retrouver ne peut empêcher l‘afflux de ressentiments, de discussions jamais menées, de reproches jamais exprimés de vive voix. Il faut que les choses soient dites pour être dépassées. Il faut aussi que chacun retrouve sa place dans la fratrie reconstituée.

Mais à ce repas, il n’y a pas que les frères, sœurs, neveux et nièces. Paul se retrouve aussi confronté aux deux épouses dont il a divorcé et avec lesquelles il a eu, chaque fois, deux enfants. David et Claire avec Agnès, puis Anna et Coline avec Esther.
Comme Claire est venue avec ses deux enfants, il a invité Agnès pour qu’elle puisse passer un moment avec ses petits-enfants. La rupture avec Esther a été plus douloureuse, à la hauteur d’une relation chaotique et passionnelle. Mais là, ce sont les filles qui ont demandé à Paul si elles pouvaient proposer à Esther de venir. Surtout Anna qui vient spécialement en avion pour cette occasion et voudrait pouvoir en profiter pour embrasser sa mère.

Une journée bien remplie, donc, pleine d’émotions et de débats, de questions et d’explications mais aussi une réflexion sur l’écriture et la publication. Peut-on tout écrire ? Pourquoi publier ? En cinéma on pourrait dire que ce roman est son propre making-off. Nous vivons cette journée du point de vue de Paul, en voyant se construire le livre qu’il publiera ensuite, celui que nous avons entre les mains.

À ceux qui découvriraient ici l’écriture de Lionel Duroy, ce roman va donner envie de se plonger dans celui par lequel le malheur est arrivé, le livre des origines, paru en 1990 et repris depuis en collection de poche : Priez pour nous. Et entre ces deux-là, une quinzaine d’autres. Un beau parcours d’autofiction.

Serge Cabrol 
(21/10/19)    



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Lionel DUROY, Nous étions nés pour être heureux
Julliard

(Août 2019)
360 pages - 20 €










Lionel Duroy,
né en 1949, journaliste et écrivain, est l'auteur de nombreux ouvrages.



Bio-bibliographie sur
Wikipédia





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