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Alonso CUETO

La passagère du vent



Angel Serpa, jeune soldat de la lutte contre le Sentier Lumineux au Pérou revient traumatisé par les scènes auxquelles il a assisté dans l’Ayacucho tant dans le camp des rebelles que de l’armée régulière qu’il avait rejointe. Le retour à la vie civile est difficile mais il trouve un petit emploi de vendeur dans un magasin de vaisselle et d’ustensiles de cuisine à Lima près de son frère et tente de  se libérer des tensions qui continuent à l’habiter et des cauchemars qui le hantent par d’épuisants  combats de catch entre vétérans. Une façon de retrouver un semblant d’équilibre précaire qui ne dupe qu’à peine le frérot marié et père de famille qui lui était resté sur place à la mort de leur mère.

Mais quand, des années après la sale guerre dont il fut un protagoniste, Eliana, une des jeunes villageoises, torturées, violées et souvent passées par les armes avant d’être jetées dans un charnier par l’armée, franchit tel un fantôme revenu du passé la porte de la boutique, le fragile équilibre mental de Angel reconstruit si péniblement s’effondre. Face à celle en qui le simple soldat reconnaît une des anciennes victimes, la culpabilité d’avoir été acteur même contre son gré ou indirectement des exactions commises lui revient en pleine face. Le doute sur la réalité de cette apparition ne fait pas long feu et l’évidence qui s’impose à lui sur l’identité de la cliente le pousse à s’engager dans une traque obsessionnelle de la femme pour lui parler et obtenir son pardon.

Pour ce faire, le chemin de la rédemption s’avérera long, douloureux, imprévisible et mystérieux, jalonné par autant de dangers (violence, prison, folie...) que de progrès vers l’apaisement, la libération,  la renaissance et l’amour.      

  
          Plongeant dans l’histoire du Pérou et de la guerre civile des années quatre-vingt,  les exactions dans les deux camps ayant fait cinquante mille victimes et provoqué de nombreux traumatismes chez les combattants de part et d’autre, ce roman sous forme d’enquête mais aussi d’exploration psychologique en profondeur du protagoniste principal, nous invite à suivre la trajectoire d’êtres, bourreaux occasionnels ou victimes, également brisés par la violence.
Mais loin du réalisme ou du compte rendu de l’historien, au fil des chapitres le récit devient ici  onirique ou se transforme en véritable thriller au gré de l’inspiration de l’auteur pour nous embarquer au plus près de son personnage et de la problématique qu’il incarne.

C’est à « l’après » des uns et des autres, cohabitant chacun avec leurs fantômes, qu’à travers le sujet de la résilience, de la culpabilité et de la rédemption Alonso Cueto s’attache sans parti pris autre que celui de l’être humain.  Et derrière l’histoire personnelle d’Angel c’est toute l’histoire d’un pays ravagé par les oppositions internes géographiques ou de classes qui s’illustre. L’évocation de la pensée traditionnelle inca, avec le processus tourné vers le futur et non le passé qui « ignore ou met de côté ce qui a eu lieu »  pour substituer à l’offense et au pardon un accord qui l’annule, y trouve aussi très naturellement place. Permettre non l’oubli mais la rédemption et une libération qui permettra à chacun d’aller de l’avant dans une dynamique extrêmement positive. « Se pardonner ce n’est pas oublier [...] Cela veut dire garder en mémoire sa mauvaise action pour que cela serve à quelqu’un d’autre. [...] Vivre avec la souffrance et la transformer en une énergie qui vienne en aide à quelqu’un. [...] Le pardon était aussi irréel que la faute. »

La passagère du vent est un livre passionnant, profond et mystique autant que politique qui pose à travers son personnage dans une époque et un lieu donnés des questions fondamentales et universelles en y apportant, sans jugement mais avec une globale bienveillance et une humanité rayonnante, une conclusion résolument optimiste.
« Il picorait les grains de maïs un par un. Leur goût signifiait la réconciliation avec le monde et à cet instant, il ressentit un étrange bonheur. »
Un livre qui compte, une découverte à partager très librement.

Dominique Baillon-Lalande 
(07/01/19)    



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Gallimard

(Octobre 2018)
272 pages - 22 €


Traduit de l’espagnol
(Pérou) par
Aurore Touya









Alonso Cueto,
né en 1954 à Lima, journaliste, professeur et écrivain, est l'auteur de nombreux romans, nouvelles et essais. Il a reçu en 2000 le prix Anna Seghers pour l'ensemble de son œuvre et en 2005 le prestigieux prix Herralde pour Avant l'aube.