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Mais quand, des années après la sale guerre dont il fut un protagoniste, Eliana, une des jeunes villageoises, torturées, violées et souvent passées par les armes avant d’être jetées dans un charnier par l’armée, franchit tel un fantôme revenu du passé la porte de la boutique, le fragile équilibre mental de Angel reconstruit si péniblement s’effondre. Face à celle en qui le simple soldat reconnaît une des anciennes victimes, la culpabilité d’avoir été acteur même contre son gré ou indirectement des exactions commises lui revient en pleine face. Le doute sur la réalité de cette apparition ne fait pas long feu et l’évidence qui s’impose à lui sur l’identité de la cliente le pousse à s’engager dans une traque obsessionnelle de la femme pour lui parler et obtenir son pardon. Pour ce faire, le chemin de la rédemption s’avérera long, douloureux, imprévisible et mystérieux, jalonné par autant de dangers (violence, prison, folie...) que de progrès vers l’apaisement, la libération, la renaissance et l’amour. C’est à « l’après » des uns et des autres, cohabitant chacun avec leurs fantômes, qu’à travers le sujet de la résilience, de la culpabilité et de la rédemption Alonso Cueto s’attache sans parti pris autre que celui de l’être humain. Et derrière l’histoire personnelle d’Angel c’est toute l’histoire d’un pays ravagé par les oppositions internes géographiques ou de classes qui s’illustre. L’évocation de la pensée traditionnelle inca, avec le processus tourné vers le futur et non le passé qui « ignore ou met de côté ce qui a eu lieu » pour substituer à l’offense et au pardon un accord qui l’annule, y trouve aussi très naturellement place. Permettre non l’oubli mais la rédemption et une libération qui permettra à chacun d’aller de l’avant dans une dynamique extrêmement positive. « Se pardonner ce n’est pas oublier [...] Cela veut dire garder en mémoire sa mauvaise action pour que cela serve à quelqu’un d’autre. [...] Vivre avec la souffrance et la transformer en une énergie qui vienne en aide à quelqu’un. [...] Le pardon était aussi irréel que la faute. » La passagère du vent est un livre passionnant, profond et mystique autant que politique qui pose à travers son personnage dans une époque et un lieu donnés des questions fondamentales et universelles en y apportant, sans jugement mais avec une globale bienveillance et une humanité rayonnante, une conclusion résolument optimiste. Dominique Baillon-Lalande (07/01/19) |
Sommaire Lectures Gallimard (Octobre 2018) 272 pages - 22 € Traduit de l’espagnol (Pérou) par Aurore Touya
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