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Jean-Louis COATRIEUX


Le rêve d'Alejo Carpentier
Coabana



Coabana est le premier volet d'un diptyque consacré au grand écrivain cubain. Ce premier volet traite de ses années de formation (1904-1945) : enfance et adolescence à la Havane, long séjour à Paris de la fin des années 1920 à 1938, puis, retour à Cuba jusqu'à son départ pour le Venezuela en 1945.

Ce roman écrit à la première personne – car c'est bien un roman et non pas une biographie – est bien sûr le récit de la vie d'Alejo Carpentier mais aussi et surtout la chronique d'une période historique où surgit un formidable foisonnement artistique avec ses rêves les plus fous, où émergent les arts et les cultures des peuples jusqu'alors réduits au silence. Période barbare et tragique aussi qui interroge les artistes  quel que soit  leur art quant aux formes de luttes à adopter face aux forces de domination les plus rétrogrades.

Dans un style limpide et avec beaucoup de sensibilité Jean-Louis Coatrieux restitue toute l'effervescence et les contradictions de cette période avec pour fil conducteur les péripéties de la vie d'Alejo Carpentier. Ce dernier devenant en quelque sorte l'archétype de l'artiste ouvert à toutes les formes d'art,  à toutes les cultures et combattant infatigable de la liberté. Sait-on par exemple qu'il fut aussi homme de radio, musicologue et qu'il contribua largement à faire connaître en Europe la musique populaire afro-cubaine ?

L'enfance et la jeunesse d'Alejo Carpentier, c'est Cuba au sortir de la colonisation espagnole et américaine bien que cette dernière soit encore omniprésente. Une enfance à la campagne où il vit seul avec sa mère (son père les a quittés brusquement pour partir au Panama). Expérience de la pauvreté des paysans et amitié avec Yamba, un voisin ouvrier agricole descendant d'esclaves qui l'initie aux contes, aux  mythes et à la musique afro-cubaine. Après une formation d'architecte (qu'il abandonnera) c'est vers la littérature, les mouvements d'avant-garde (en particulier le mouvement surréaliste) que se porte son intérêt. Il gagnera péniblement sa vie en écrivant des articles pour des revues publiées à Cuba et en France. C'est aussi une période de rencontres avec des poètes et intellectuels cubains et d'Amérique latine : Nicolás Guillén, Miguel Ángel Asturias, César Vallejo… Ses articles critiques dans la presse lui vaudront sous la dictature de Gerardo Machado sept mois de prison qui se termineront par un départ rocambolesque pour Paris grâce à... Robert Desnos.

L'auteur restitue avec talent et précision "l'ambiance" artistique du Paris de Montparnasse et de Montmartre à cette époque dans laquelle Alejo va se retrouver. Rencontres incroyables : Breton, Leiris, Prévert, Masson, Hemingway, Diego Rivera, Rubén Darío, Picasso, Queneau, ,  Neruda, Desnos (le complice, le frère)… et bien d'autres musiciens ou acteurs. Rencontres féminines aussi (vraies ou inventées par l'auteur ?). Bref, le lecteur est ébahi de rencontrer tant d'artistes aux côtés d'Alejo. Cette période c'est aussi des séjours en Espagne et des rencontres avec Federico García Lorca, Antonio Machado, José Bergamín, Luis Buñuel...

Nous sommes en 1933 et Hitler est  au pouvoir en Allemagne. Puis, c'est  la guerre d'Espagne et son cortège de tragédies. Là encore, Jean-Louis Coatrieux, traduit formidablement les inquiétudes, les interrogations d'Alejo quant à la meilleure façon d'organiser la solidarité avec les Républicains espagnols : la plume ou le fusil ? De retour à Cuba en 1939, c'est de La Havane qu'il vivra la guerre, toujours avec les mêmes interrogations :
« Aucune nouvelle de Robert [Desnos] et cela ne lui ressemblait pas. Comment allait-il réagir ? S'exiler, courber le dos ou faire front ? Je ne le voyais pas accepter cet ordre nouveau. Les débats d'Espagne me revenaient en pleine figure sauf qu'il s'agissait maintenant de décider. Les partisans de l'art d'abord ou de l'art comme engagement et entre les deux, les silencieux, ceux qui feront mine de, qui sauront naviguer. J'en connaissais dans chaque catégorie. Comment aussi les juger, de quel droit ? J'étais loin, bien à l'abri. Aucune menace ne pesait sur ma tête. »

Ce premier volet du Rêve d'Alejo Carpentier, très bien documenté est aussi une invitation  à lire ou relire les poètes proches d'Alejo (Nicolás Guillen, Rafael Alberti, Antonio Machado, Lorca, etc) un peu oubliés aujourd'hui. Occasion également de revisiter le formidable bouillonnement artistique du Cuba de cette époque. Ce volet n'aborde pas l'œuvre littéraire d'Alejo Carpentier. En effet, son premier roman (Le Royaume de ce monde)  ne paraîtra qu'en 1949. Nous attendons avec impatience la deuxième partie.

Yves Dutier 
(11/09/19)    



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Lectures









Jean-Louis  COATRIEUX, Le rêve d'Alejo  Carpentier
Apogée
(Août 2019)
300 pages - 20 €














Jean-Louis Coatrieux,
né en 1946 à Saint-Denis, enseignant-chercheur et spécialiste de l’imagerie numérique médicale, a publié de nombreux essais, romans, nouvelles et recueils de poésie.


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