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Howard CARTER


La fabuleuse découverte
de la tombe de Toutankhamon

C’était un travail lent, qui mettait nos nerfs à rude épreuve, et chacun de nous se sentait porteur de lourdes responsabilités. C’est là un sentiment que connaît bien chaque fouilleur […] Les objets qu’il trouve ne sont pas sa propriété. Il ne peut les traiter comme il l’entend, ni les négliger. Il n’est qu’un intermédiaire privilégié. Et si, par manque de soin, par paresse ou par ignorance, il restreint la somme d’informations qu’on aurait pu tirer de ses découvertes, il se rend coupable du crime archéologique le plus grave.

Au moment où l’on peut admirer à Paris les trésors de cette tombe, c’est très intéressant et agréable de lire le récit, écrit d’une manière limpide et captivante, du principal protagoniste de cette découverte, l’archéologue Howard Carter. On dévore le texte de ce chercheur à la fois enthousiaste et prudent, qui montre parfaitement la fébrilité folle d’un savant devant une découverte majeure, le retentissement médiatique qu’il faut canaliser et l’attitude scientifique à garder à tout prix, ce que, très humblement, Carter démontre parfaitement dans le compte rendu qu’il fait des événements.

Le lendemain matin, 4 novembre [1922], lorsque j’arrivai sur le chantier un silence inhabituel me fit comprendre que quelque chose venait de se passer. On m’annonça aussitôt qu’on […] venait de mettre au jour une marche taillée dans le roc. C’était trop beau pour être vrai. Pourtant, nous étions bel et bien devant l’entrée d’un escalier creusé dans la pierre […] Je n’osais pas croire que nous avions enfin trouvé notre tombe. Le travail se poursuivit fiévreusement pendant tout le reste de la journée et le matin suivant. Ce ne fut que dans l’après-midi du 5 qu’on réussit à dégager les arêtes supérieures de l’escalier.

À chaque étape de leur découverte, Carter raconte la fièvre qui embrase le chantier et l’immense patience qu’il faut mettre en œuvre. Ce n’est que vingt jours après la découverte de l’emplacement d’une « marche » que les chercheurs ont eu la quasi-certitude qu’ils avaient découvert une nouvelle tombe : les seize marches de l’escalier étaient dégagées et nous pouvions examiner la porte scellée […] les sceaux étaient plus nets et nous en déchiffrâmes plusieurs sans difficulté : ils portaient le nom de Toutankhamon !

Puis c’est le récit palpitant de l’ouverture de la première porte, de la lente progression dans le long couloir, déjà parsemé de vestiges, qui mène à une seconde porte. On se croirait dans un album de Tintin quand Carter, après avoir fait une petite ouverture dans le haut de la porte regarde de l’autre côté, avec une bougie :
D’abord je ne vis rien ; l’air chaud qui s’échappait de la chambre faisait clignoter la flamme de la bougie. Puis à mesure que mes yeux s’accoutumaient à l’obscurité, des formes se dessinèrent lentement : d’étranges animaux, des statues, et, partout, le scintillement de l’or. Pendant quelques secondes – qui durent sembler une éternité à mes compagnons – je restai muet de stupeur. Et, lorsque Lord Carnavon demanda enfin : « Vous voyez quelque chose ? », je ne pus que répondre « Oui, des merveilles ! »
           
Et cette seconde porte n’ouvre que sur l’antichambre où l’entassement des meubles et des objets est tel qu’avant d’ouvrir la troisième porte qui mène à la chapelle, à la chambre funéraire et à la salle du trésor, le travail va durer des mois !

La tâche est titanesque : photographier chaque objet avant, ne serait-ce que le toucher, sous tous les angles, noter son emplacement, son environnement, Carter dit qu’en débarrassant l’antichambre, nous avions l’impression de jouer à un gigantesque jeu de jonchets.

Il faut faire venir l’électricité dans la tombe ; à l’extérieur, organiser un endroit assez vaste pour mettre à l’abri, surtout des voleurs, les objets qui peuvent être transportés ; établir des ateliers sur place pour les objets en très mauvais état ou pour reconstituer le puzzle d’autres ; organiser la venue des journalistes du monde entier, l’observation et l’avis d’autres savants, plus spécialisés. Et surtout, après l’émerveillement, gérer l’angoisse de ne pas être assez respectueux de ces fabuleuses traces de civilisation  à transmettre à l’humanité tout entière.

Une paire de sandales décorées de perles, par exemple, avaient l’air d’être en parfait état. En fait les fils étaient complètement pourris, et il aurait suffi de les toucher pour qu’elles s’effritent aussitôt. Il n’y avait donc qu’une seule solution : un réchaud à alcool, de la paraffine qu’on laissait durcir durant une heure ou deux, et on pouvait manier les sandales sans problèmes.

Le lecteur est véritablement embarqué dans une machine à remonter le temps, celui d’un jeune pharaon d’il y a plus de trois mille ans bien sûr, mais aussi celui du narrateur, ce grand archéologue et égyptologue britannique des années vingt, qui, à quarante-huit ans, a non seulement ressuscité pour nous la vie d’un pharaon et de son époque, mais a su raconter son métier, communiquer sa passion, son enthousiasme, ses scrupules aussi en relatant son extraordinaire découverte dans la Vallée des Rois dans ce livre publié juste un an après.

Tous les fouilleurs connaissent ce sentiment de respect – presque de gêne – qu’on éprouve lorsqu’on pénètre dans une chambre fermée par des mains pieuses des siècles auparavant. Un instant le temps s’abolit. Trois mille, quatre mille ans peut-être se sont écoulés depuis qu’un pied a foulé pour la dernière fois ce sol. Et pourtant, à mesure qu’on note les traces de vie autour de soi – le bol à moitié rempli de mortier, la lampe noircie, l’empreinte des doigts sur une surface récemment peinte, la guirlande d’adieu posée sur le seuil –, on a l’impression que c’était hier. L’air qu’on respire, le même depuis des millénaires, on le partage avec ceux qui déposèrent la momie dans sa sépulture. Et chacun de ces petits détails vivants accroît votre sentiment de vous comporter en intrus. […] Mais bientôt d’autres [impressions] vous assaillent […] la joie de la découverte […] la pensée que vous êtes sur le point d’ajouter une page à l’histoire de l’humanité […] l’espoir insensé, aussi, du chercheur de trésors. Ces pensées me traversèrent-elles vraiment l’esprit à ce moment-là, ou me sont-elles venues depuis ? Je ne saurais le dire.

Sylvie Lansade 
(14/06/19)    



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Lectures









Howard  CARTER, La fabuleuse découverte de la tombe de Toutankhamon
Libretto

(Février 2019)
176 pages - 8,10 €


Traduit de l'anglais par
Martine Wiznitzer


















Howard Carter
(1874 -1939),
archéologue et égyptologue britannique, est principalement connu pour avoir découvert en 1922 la tombe de Toutankhamon, pharaon de la XVIIIe dynastie. Il a publié le récit de cette aventure en 1923.


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