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Gabriel Hans Formose Durtal est aussi petit et malingre que ce nom à rallonge est imposant. C’est cet enfant, vivant avec sa mère sur une petite île, qui partage avec le lecteur son quotidien, ses réflexions, ses colères et ses rêves. De ce père absent qui prend toute la place dans son imaginaire, l’enfant ne sait que les récits merveilleux que sa mère lui contait petit sur ce grand magicien prestidigitateur toujours en voyage à travers le monde pour ses spectacles. C’est plus tard, quand elle s’était enfermée dans le silence ne faisant même plus semblant d’espérer son retour, qu’il lui manquera le plus. « Toute ma colère, ma rage se tournait vers mon père qui n’était pas là, ne l’avait jamais été ! Qui nous avait laissés maman et moi pour ne suivre que des illusions qu’il allait jusqu’à créer. Peut-être n’étions nous devenus pour lui, avec le temps, qu’une illusion parmi tant d’autres. » À la disparition de sa mère Gabriel aura atteint un âge suffisant pour se débrouiller seul sans avoir à solliciter l’aide des villageois. La disparition du corps de la défunte aperçu par la gendarmerie au pied de la falaise et volatilisé sans laisser de trace le temps de le récupérer constitua un mystère qui ne le perturba pas démesurément. La conclusion du brigadier, à savoir « drôle d’histoire, c’est digne de la série noire mais je n’ai pas le physique de Philip Marlowe», avait suffi à classer l’affaire pour la police. Pour l’adolescent au pays d’origine et au père déjà disparus, il perçut simplement ce nouvel événement comme une suite logique à leur histoire. Il ne garda de cette mère aimante mais peu expansive qui s’effaçait déjà à mesure qu’il grandissait que ces phrases énigmatiques plusieurs fois énoncées et jetées sur le papier avant de disparaître définitivement : « Chacun a une place dans le roman de sa vie [...] Un jour tu comprendras, au moment où tu t’y attendras le moins peut-être [...] Lui te reconnaîtra le moment venu. » Dans la solitude de la vieille masure, vivant de peu et ne voyant presque personne en dehors du fidèle Karl, Gabriel se lance alors dans l’apprentissage de la peinture par correspondance. Une vraie révélation qui le conduira à quitter l’île une fois ses études achevées pour faire carrière comme copiste puis faussaire. « Très tôt j’ai compris qu’on ne voyait que ce qu’on voulait voir. Que tout tenait à cette évidence qui n’en était pas une. Nous n’étions finalement que magie, qu’illusion [...] Mes parents eux-mêmes n’avaient peut-être été que cela, des trompe-l’œil et, en conséquence, moi-même j’étais sans doute pas autre chose qu’un faux. » Il a du talent et le succès s’invite rapidement au rendez-vous. « Mes copies finirent par être reconnues à l’égal de véritables œuvres d’art. Plus vrais que les originaux avait même écrit, dans un grand journal du soir, un critique faisant autorité » relèvel’homme toujours aussi détaché du monde réel avec amusement. Ce récit qui couvre l’enfance puis l’âge adulte du narrateur n’a rien de réaliste. Comme dans un conte, avec sa part d’onirisme et de mystère, Jean-Claude Tardif parsème son texte d’images, de symboles, immerge son lecteur dans une étrange atmosphère plus qu’il ne s’arrête vraiment sur la vie de son protagoniste. De lui, nous connaîtrons davantage ses émotions, ses fantasmes, ses peurs et sa vie rêvée que sa personnalité ou son quotidien. La langue construit un véritable écrin poétique à cette biographie imaginaire avec des mots de métier disparu comme « acagnarder la malle », des expressions obsolètes pleines de charme comme ce « jean-foutre » passé depuis longtemps aux oubliettes et des trouvailles personnelles goûteuses comme l’expression « se débaucher les yeux », cette phrase : « Il se barbouillait de mots dont il avait perdu le sens » ou cette description des ouvriersde l’île « qui se brûlent les ailes et le reste du corps à la fonderie ». Un livre précieux et sensible qui s’adresse à nos sens. À déguster sans hâte. Dominique Baillon-Lalande (04/07/18) |
Sommaire Lectures Racine et Icare (Avril 2018) 72 pages - 10 €
Bio-bibliographie sur le site de l’auteur Découvrir sur notre site d'autres livres du même auteur : Navaja, Dauphine & accessoires La douceur du sang Choisir l'été… |
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