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Sylvie COHEN

La splendeur des égarés

Etre égaré c’est perdre son chemin mais aussi perdre la raison, être comme fou. Et la mort d’un enfant peut provoquer cet état d’égarement, ce désordre mental. C’est de cela dont il est question dans ce roman et de toutes les réactions et interrogations qui accompagnent un tel drame. L’acceptation est douloureuse, le déni peut être, au moins provisoirement, une réponse moins violente. Non il n’est pas mort, ce n’est pas lui, ça ne peut pas être lui ! Pour l’entourage, la difficulté consiste à savoir ce qui est possible ou souhaitable pour aider la personne foudroyée.

Le roman s’ouvre sur l’immolation d’un adolescent en plein centre de Rome. « Sur la place del Popolo, les façades des édifices et des maisons se drapent dans une accumulation joyeuse de couleur safran. Près de l'obélisque, un adolescent au milieu du chassé-croisé des vacanciers. Personne ne prête attention à lui. Tout à coup, il explose en gerbe de feu, court de façon chaotique, attise les flammes. Quelqu'un lance son blouson vers lui, rate sa cible. Le brasier se dilate, un glapissement fuse de l'épouvantail en torche. La foule est réunie en ménagerie. »
Cet ado est français et se trouve à Rome avec un groupe de scouts, « parmi des centaines de jeunes venus du monde entier, pour écouter l’homélie du Pape pour le Jubilé. »

Les parents sont aussitôt prévenus. Le père, William Hold, est médecin dans le Nord ; Helena, la mère, habite dans le Sud avec son fils. Au fil du roman on découvrira peu à peu leur passé, leur rencontre, la naissance de leur fils, les raisons de leur séparation, la vie de chacun d’eux…
Pour le moment, ils arrivent à Rome et réagissent très différemment. Helena refusant de reconnaître son fils dans ce corps calciné. Son fils a dû s’échapper du camp scout, faire une fugue… « Mon fils ne s’est pas suicidé. C’est impossible. »

Un autre personnage essentiel du roman est présent dès le premier chapitre, Nathan Durer, qui a assisté à l’immolation du jeune garçon sur la place del Popolo, et a choisi de ne pas photographier. « Journaliste free-lance, il a pourtant l'habitude de réassimiler le réel en images-chocs pour les vendre à des magazines friands d'exotisme et de scandale. La vision de ce gamin qui se consumait s'imprime sur ses pupilles. Nathan n'utilisera pas ce fait divers sur l'autel du divertissement. »

Nathan a rendez-vous avec un ami, Adam Kesh. « Celui-ci a été sommelier dans des restaurants de luxe, il a accumulé un pécule pendant des années et parcourt ce qu'il croit être le monde. Curieux des autres, il devient très vite intime avec quiconque au gré de ses voyages. »

Le hasard veut que William Hold se retrouve au bar du même hôtel qu’Adam Kesh. Un peu plus tard, Helena les rejoint. Dans l’état de détresse où ils se trouvent, Adam ne veut pas les laisser seuls dans Rome. Il les emmène dans un restaurant où Nathan les retrouve. Cette rencontre est déterminante. Le roman est construit autour des sentiments contradictoires que Nathan éprouve envers Helena.

La deuxième partie du livre, intitulée la fille de Nathan, nous montre le journaliste, séparé de sa femme. Il voit peu son fils et sa fille, Guilhem et Marie, des adolescents qu’il ne comprend pas et qui s’ennuient à mourir les rares fois où ils passent chez leur père. Il ne sait pas leur parler et quand Marie évoque un chagrin d’amour, il ne la prend pas au sérieux.
Lorsqu’on retrouve le corps de sa fille rejeté par la mer sur la plage, il est effondré. Crampe et accident, suicide ? Comment savoir lorsqu’on n’a pas su communiquer ?

Sans bien savoir pourquoi, il ressent brutalement le besoin de retrouver Helena, cette femme rencontrée à Rome, qui a perdu son fils mais n’en acceptait pas la mort. Qu’est-elle devenue ? Persuadé de ne pas avoir su l’écouter, la comprendre, lui parler, il va occuper le vide de son existence à suivre sa piste…

L’écriture échappe au formalisme par des images atypiques, des métaphores peu courues qui, souvent, renforcent la violence du propos.
La mort, la perte, le deuil sont au cœur du roman mais aussi la colère, le refus d’une réalité trop douloureuse, d’une souffrance inacceptable.
Nathan trompe son chagrin dans une quête aussi hasardeuse que rédemptrice, entraînant le lecteur sur ses traces sans savoir où ses pas vont le mener.
Un roman hors du commun au fil d’une plume singulière.

Serge Cabrol 
(04/04/18)    



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Les chemins du hasard

(Mars 2018)
176 pages - 16,50 €

















Sylvie Cohen,
nouvelliste et romancière, a déjà publié
une douzaine de livres.



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www.sylviecohen.com