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Shuhrid SHAHIDULLAH

L’odeur d’antiseptique empoigne la ville


La Traductière sort le trente-sixième numéro d’une revue bien connue et étroitement associée au festival franco-anglais de poésie, qui se tient chaque année au moment du Marché de la Poésie. Fondée par Jacques Rancourt, c’est Linda Maria Baros, elle aussi poète et traductrice, qui en assure maintenant la direction. Elle vient de créer Hashtag, une collection de recueils de poèmes publiés parallèlement à la revue par La Traductière. Elle y accueille les voix de jeunes poètes venus du monde entier, dont celle de Shuhrid Shahidullah, poète du Bangladesh, déjà invité au festival il y a deux ans. Il s’agit d’une anthologie poétique avec des poèmes sélectionnés dans les quatre titres qu’il a déjà publiés. Ils ont été traduits par Linda Maria Baros depuis l’anglais et le bengali, en collaboration avec Shuhrid Shahidullah, qui est également traducteur. Il représente la nouvelle vague littéraire au Bangladesh, notamment avec la revue Shirdanra, (l’épine dorsale), dont il est le coéditeur.
L’odeur d’antiseptique empoigne la ville interpelle d’emblée le lecteur avec une grande puissance. « Œil », le premier poème, est dédié aux ouvriers qui ont péri brûlés dans des usines de vêtements. C’est l’un d’eux qui s’adresse à nous, nous qui prenons à peine le temps de lire l’étiquette sur nos T-shirts, parce que nous préférons oublier comment ils ont été fabriqués pour venir jusqu’à nous. « Pourtant, regardez mon corps ; / moi aussi, je vous regarde de mes yeux brûlés. » Appel à ouvrir les yeux, à scruter le monde autour de nous, le poète nous entraîne avec lui dans une exploration de la réalité sans complaisance. « Des histoires indomptables bouillonnent en-dessous du seuil de pauvreté. » La violence et la peur sont la trame d’un monde où le fracas de la guerre n’a pas cessé de se réverbérer, où la mémoire des corps blessés demeure inscrite « dans la jungle marécageuse, ensanglantée ».  C’est aussi une violence dans les rapports humains qui se perpétue d’une génération à l’autre : « Cette marque bien simple, la mienne, tu la portes à / travers ce monde - / où les chiens réincarnés regardent / les filles trop jeunes pour être enceintes. / L’une d’elles est ma mère. »  Il démasque ce qui se cache dans le spectacle des rues. Des êtres chosifiés s’y croisent, hantés par les seuls enjeux de la survie. « Les gens attendent d’être vendus. / Je vois la scène tôt le matin ; /je vais au bureau - je suis sous contrat. »
L’œil du poète découpe ce qu’il observe au rasoir, pour en extraire une densité explosive, qui parle d’elle-même, qui empoigne, aussi pénétrante qu’une odeur d’antiseptique. Il donne aussi à lire de très courts poèmes, portés par des mots taillés à l’os, brefs éclairs sur ce qui court à l’envers de l’instant et des choses ou bien jaillit de l’onirique. « Noie-toi et embrasse la carcasse de l’eau. »
Des textes à découvrir d’urgence grâce à la traduction de Linda Maria Baros.

Cécile Oumhani 
(25/10/18)    



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Poésie








La Traductière

64 pages - 10 €


Pour contacter l'éditrice
et traductrice :
Linda_Maria_Baros
@yahoo.fr







Shuhrid Shahidullah,
né en 1975 au Bangladesh, est poète, traducteur, coéditeur de la revue Shirdanra (Épine dorsale), qui promeut la nouvelle vague littéraire
de son pays.